vise.
Seigneurs, c'etait un jour d'ete, au temps ou l'on moissonne, un peu apres la Pentecote, et les oiseaux a la rosee chantaient l'aube prochaine. Tristan sortit de la hutte, ceignit son epee, appreta l'arc Qui-ne-faut et, seul, s'en fut chasser par le bois. Avant que descende le soir, une grande peine lui adviendra. Non, jamais amants ne s'aimerent tant et ne l'expierent si durement.
Quand Tristan revint de la chasse, accable par la lourde chaleur, il prit la reine entre ses bras.
« Ami, ou avez-vous ete ?
– Apres un cerf qui m'a tout lasse. Vois, la sueur coule de mes membres, je voudrais me coucher et dormir. »
Sous la loge de verts rameaux, jonchee d'herbes fraiches, Iseut s'etendit la premiere ; Tristan se coucha pres d'elle et deposa son epee nue entre leurs corps. Pour leur bonheur, ils avaient garde leurs vetements. La reine avait au doigt l'anneau d'or aux belles emeraudes que Marc lui avait donne au jour des epousailles ; ses doigts etaient devenus si greles que la bague y tenait a peine. Ils dormaient ainsi, l'un des bras de Tristan passe sous le cou de son amie, l'autre jete sur son beau corps, etroitement embrasses ; leurs levres ne se touchaient point. Pas un souffle de brise, pas une feuille qui tremble. A travers le toit de feuillage, un rayon de soleil descendait sur le visage d'Iseut qui brillait comme un glacon.
Or, un forestier trouva dans le bois une place ou les herbes etaient foulees ; la veille, les amants s'etaient couches la ; mais il ne reconnut pas l'empreinte de leurs corps, suivit la trace et parvint a leur gite. Il les vit qui dormaient, les reconnut et s'enfuit, craignant le reveil terrible de Tristan. Il s'enfuit jusqu’a Tintagel, a deux lieues de la, monta les degres de la salle, et trouva le roi qui tenait ses plaids au milieu de ses vassaux assembles.
« Ami, que viens-tu querir ceans, hors d'haleine comme je te vois ? On dirait un valet de limiers qui a longtemps couru apres les chiens. Veux-tu, toi aussi, nous demander raison de quelque tort ? Qui t'a chasse de ma foret ? »
Le forestier le prit a l'ecart et, tout bas, lui dit :
« J'ai vu la reine et Tristan. Ils dormaient, j'ai pris peur.
– En quel lieu ?
– Dans une hutte du Morois. Ils dorment aux bras l'un de l'autre. Viens tot, si tu veux prendre ta vengeance.
– Va m'attendre a l'entree du bois, au pied de la Croix Rouge. Ne parle a nul homme de ce que tu as vu ; je te donnerai de l'or et de l'argent, tant que tu en voudras prendre. »
Le forestier y va et s'assied sous la Croix Rouge. Maudit soit l'espion ! Mais il mourra honteusement, comme cette histoire vous le dira tout a l'heure.
Le roi fit seller son cheval, ceignit son epee, et, sans nulle compagnie, s'echappa de la cite. Tout en chevauchant, seul, il se ressouvint de la nuit ou il avait saisi son neveu : quelle tendresse avait alors montree pour Tristan Iseut la Belle, au visage clair ! S'il les surprend, il chatiera ces grands peches ; il se vengera de ceux qui l'ont honni…
A la Croix Rouge, il trouva le forestier :
« Va devant ; mene-moi vite et droit. »
L'ombre noire des grands arbres les enveloppe. Le roi suit l'espion. Il se fie a son epee, qui jadis a frappe de beaux coups. Ah ! si Tristan s'eveille, l'un des deux, Dieu sait lequel ! restera mort sur la place. Enfin le forestier dit tout bas :
« Roi, nous approchons. »
Il lui tint l'etrier et lia les renes du cheval aux branches d'un pommier vert. Ils approcherent encore, et soudain, dans une clairiere ensoleillee, virent la hutte fleurie.
Le roi delace son manteau aux attaches d'or fin, le rejette, et son beau corps apparait. Il tire son epee hors de la gaine, et redit en son c?ur qu'il veut mourir s'il ne les tue. Le forestier le suivait ; il lui fait signe de s'en