retourner.

Il penetre, seul, sous la hutte, l'epee nue, et la brandit… Ah ! quel deuil s'il assene ce coup ! Mais il remarqua que leurs bouches ne se touchaient pas et qu'une epee nue separait leurs corps :

« Dieu ! se dit-il, que vois-je ici ? Faut-il les tuer ? Depuis si longtemps qu'ils vivent en ce bois, s'ils s'aimaient de fol amour, auraient-ils place cette epee entre eux ? Et chacun ne sait-il pas qu'une lame nue, qui separe deux corps, est garante et gardienne de chastete ? S'ils s'aimaient de fol amour, reposeraient-ils si purement ? Non, je ne les tuerai pas ; ce serait grand peche de les frapper ; et si j'eveillais ce dormeur et que l'un de nous deux fut tue, on en parlerait longtemps, et pour notre honte. Mais je ferai qu'a leur reveil ils sachent que je les ai trouves endormis, que je n'ai pas voulu leur mort, et que Dieu les a pris en pitie. »

Le soleil, traversant la hutte, brulait la face blanche d'Iseut. Le roi prit ses gants pares d'hermine : « C'est elle, songeait-il, qui, naguere, me les apporta d'Irlande !… » Il les placa dans le feuillage pour fermer le trou par ou le rayon descendait ; puis il retira doucement la bague aux pierres d'emeraude qu'il avait donnee a la reine ; naguere il avait fallu forcer un peu pour la lui passer au doigt ; maintenant ses doigts etaient si greles que la bague vint sans effort : a la place, le roi mit l'anneau dont Iseut, jadis, lui avait fait present. Puis il enleva l'epee qui separait les amants, celle-la meme – il la reconnut – qui s'etait ebrechee dans le crane du Morholt, posa la sienne a la place, sortit de la loge, sauta en selle, et dit au forestier :

« Fuis maintenant, et sauve ton corps, si tu peux ! »

Or, Iseut eut une vision dans son sommeil : elle etait sous une riche tente, au milieu d'un grand bois. Deux lions s'elancaient sur elle et se battaient pour l'avoir… Elle jeta un cri et s'eveilla : les gants pares d'hermine blanche tomberent sur son sein. Au cri, Tristan se dressa en pieds, voulut ramasser son epee et reconnut, a sa garde d'or, celle du roi. Et la reine vit a son doigt l'anneau de Marc. Elle s'ecria :

« Sire, malheur a nous ! Le roi nous a surpris !

– Oui, dit Tristan, il a emporte mon epee ; il etait seul, il a pris peur, il est alle chercher du renfort ; il reviendra, nous fera bruler devant tout le peuple. Fuyons !… »

Et, a grandes journees, accompagnes de Gorvenal, ils s'enfuirent vers la terre de Galles, jusqu'aux confins de la foret du Morois. Que de tortures amour leur aura causees !

Chapitre 10 L'ERMITE OGRIN

A trois jours de la, comme Tristan avait longuement suivi les erres d'un cerf blesse, la nuit tomba, et sous le bois obscur, il se prit a songer :

«Non, ce n'est point par crainte que le roi nous a epargnes. Il avait pris mon epee, je dormais, j'etais a sa merci, il pouvait frapper ; a quoi bon du renfort ? Et s'il voulait me prendre vif, pourquoi, m'ayant desarme, m'aurait-il laisse sa propre epee ? Ah ! je t'ai reconnu, pere : non par peur, mais par tendresse et par pitie, tu as voulu nous pardonner. Nous pardonner ? Qui donc a pourrait, sans s'avilir, remettre un tel forfait ? Non, il n'a point pardonne, mais il a compris. Il a connu qu'au bucher, au saut de la chapelle, a l'embuscade contre les lepreux, Dieu nous avait pris en sa sauvegarde. Il s’est alors rappele l’enfant qui, jadis, harpait a ses pieds, et ma terre de Loonnois, abandonnee pour lui, et l'epieu du Morholt, et le sang verse pour son honneur. Il s'est rappele que je n'avais pas reconnu mon tort, mais vainement reclame jugement, droit et bataille, et la noblesse de son c?ur l'a incline a comprendre les choses qu'autour de lui ses hommes ne comprennent pas : non qu'il sache ni jamais puisse savoir la verite de notre amour ; mais il doute, il espere, il sent que je n'ai pas dit mensonge, il desire que par jugement je trouve mon droit. Ah ! bel oncle, vaincre en bataille par l'aide de Dieu, gagner votre paix, et, pour vous, revetir encore le haubert et le heaume ! Qu'ai-je pense ? Il reprendrait Iseut : je la lui livrerais ? Que ne m'a-t-il egorge plutot dans mon sommeil ! Naguere, traque par lui, je pouvais le hair et l'oublier : il avait abandonne Iseut aux malades ; elle n'etait plus a lui, elle etait mienne. Voici que par sa compassion il a reveille ma tendresse et reconquis la reine. La reine ? Elle etait reine pres de lui, et dans ce bois elle vit comme une

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