j'irai m'offrir au roi de Gavoie ou au roi de Frise, et vous n'entendrez plus jamais parler de moi. Sire, prenez conseil et, si vous ne consentez a nul accord, je ramenerai Iseut en Irlande, ou je l'ai prise ; elle sera reine en son pays. »

Quand les barons cornouaillais entendirent que Tristan leur offrait la bataille, ils dirent tous au roi :

Sire reprends la reine : ce sont des insenses qui l'ont calomniee aupres de toi. Quant a Tristan, qu'il s'en aille, ainsi qu'il l'offre guerroyer en Gavoie ou pres du roi de Frise. Mande-lui de te ramener Iseut, a tel jour et bientot. »

Le roi demanda par trois fois :

Nul ne se leve-t-il pour accuser Tristan ? »

Tous se taisaient. Alors il dit au chapelain :

Faites donc un bref au plus vite ; vous avez oui ce qu'il faut y mettre ; hatez-vous de rire : Iseut n'a que trop souffert en ses jeunes annees ! Et que la charte soit suspendue a la branche de la Croix Rouge avant ce soir ; faites vite ! »

Il ajouta :

Vous direz encore que je leur envoie a tous deux salut et amour. »

Vers la mi-nuit Tristan traversa la Blanche Lande, trouva le bref et l'apporta scelle a l’ermite Ogrin. L'ermite lui lut les lettres : Marc consentait, sur le conseil de tous ses barons a reprendre Iseut, mais non a garder Tristan comme soudoyer ; pour Tristan, il lui faudrait passer la mer, quand, a trois jours de la, au Gue Aventureux, il aurait remis la reine entre les mains de Marc.

« Dieu ! dit Tristan, quel deuil de vous perdre, amie ! Il le faut, pourtant, puisque la souffrance que vous supportiez a cause de moi, je puis maintenant vous l'epargner. Quand viendra l'instant de nous separer, je vous donnerai un present, gage de mon amour. Du pays inconnu ou je vais, je vous enverrai un messager ; il me redira votre desir, amie, et, au premier appel, de la terre lointaine, j'accourrai. »

Iseut soupira et dit :

« Tristan, laisse-moi Husdent, ton chien. Jamais limier de prix n'aura ete garde a plus d'honneur. Quand je le verrai, je me souviendrai de toi et je serai moins triste. Ami, j'ai un anneau de jaspe vert, prends-le pour l'amour de moi, porte-le a ton doigt : si jamais un messager pretend venir de ta part, je ne le croirai pas, quoi qu'il fasse ou qu'il dise, tant qu'il ne m'aura pas montre cet anneau. Mais, des que je l'aurai vu, nul pouvoir, nulle defense royale ne m'empecheront de faire ce que tu m'auras mande, que ce soit sagesse ou folie.

– Amie, je vous donne Husdent.

– Ami, prenez cet anneau en recompense. »

Et tous deux se baiserent sur les levres.

Or, laissant les amants a l'ermitage, Ogrin avait chemine sur sa bequille jusqu'au Mont ; il y acheta du vair, du gris, de l'hermine, draps de soie, de pourpre et d'ecarlate, et un chainse plus blanc que fleur de lis, et encore un palefroi harnache d'or, qui allait l’amble doucement. Les gens riaient a le voir dispenser, pour ces achats etranges et magnifiques, ses deniers des longtemps amasses ; mais le vieil homme chargea sur le palefroi les riches etoffes et revint aupres d'Iseut :

« Reine, vos vetements tombent en lambeaux ; acceptez ces presents, afin que vous soyez plus belle le jour ou vous irez au Gue Aventureux ; je crains qu'ils ne vous deplaisent : je ne suis pas expert a choisir de tels atours. «

Pourtant, le roi faisait crier par la Cornouailles la nouvelle qu'a trois jours de la, au Gue Aventureux, il ferait accord avec la reine. Dames et chevaliers se rendirent en foule a cette assemblee ; tous desiraient revoir la reine Iseut, tous l'aimaient, sauf les trois felons qui survivaient encore.

Mais, de ces trois, l'un mourra par l'epee, l'autre perira transperce par une fleche, l'autre noye ; et, quant au forestier, Perinis, le Franc, le Blond, l'assommera a coups de baton, dans le bois. Ainsi Dieu, qui hait toute demesure, vengera les amants de leurs ennemis.

Au jour marque pour l'assemblee, au Gue

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