– Ah ! seigneur, si vos veneurs vous ont marri, vous sied-il de prendre tant a c?ur des facheries de chasse ? »
Marc sourit de ce propos :
« Non, amie, mes veneurs ne m'ont pas irrite, mais trois felons, qui des longtemps nous haissent. Tu les connais : Andret, Denoalen et Gondoine. Je les ai chasses de ma terre.
– Sire, quel mal ont-ils ose dire de moi ?
- Que t'importe ? Je les ai chasses.
– Sire, chacun a le droit de dire sa pensee. Mais j'ai le droit de connaitre le blame jete sur moi. Et de qui l'apprendrais-je, sinon de vous ? Seule en ce pays etranger, je n'ai personne, hormis vous, sire, pour me defendre.
– Soit. Ils pretendaient donc qu'il te convient de te justifier par le serment et par l'epreuve du fer rouge. « La reine, disaient ils, ne devrait-elle pas requerir elle-meme ce jugement ? Ces epreuves sont legeres a qui se sait innocent. Que lui en couterait-il ?… Dieu est vrai juge ; il dissiperait a jamais les griefs anciens… » Voila ce qu'ils pretendaient. Mais laissons ces choses. Je les ai chasses, te dis-je. »
Iseut fremit ; elle regarda le roi :
« Sire, mandez-leur de revenir a votre cour. Je me justifierai par serment.
– Quand ?
– Au dixieme jour.
– Ce terme est bien proche, amie !
– Il n'est que trop lointain. Mais je requiers que d'ici la vous mandiez au roi Artur de chevaucher avec Monseigneur Gauvain, avec Girflet, Ke le senechal et cent de ses chevaliers jusqu'a la marche de votre terre, a la Blanche-Lande, sur la rive du fleuve qui separe vos royaumes. C'est la, devant eux, que je veux faire le serment, et non devant vos seuls barons : car, a peine aurais-je jure, vos barons vous requerront encore de m’imposer une nouvelle epreuve, et jamais nos tourments ne finiraient. Mais ils n'oseront plus, si Artur et ses chevaliers sont les garants du jugement. »
Tandis que se hataient vers Carduel les herauts d'armes, messagers de Marc aupres du roi Artur, secretement Iseut envoya vers Tristan son valet, Perinis le Blond, le Fidele.
Perinis courut sous les bois, evitant les sentiers frayes, tant qu'il atteignit la cabane d'Orri le forestier, ou, depuis de longs jours, Tristan l'attendait. Perinis lui rapporta les choses advenues, la nouvelle felonie, le terme du jugement, l'heure et le lieu marques :
« Sire, ma dame vous mande qu'au jour fixe, sous une robe de pelerin, si habilement deguise que nul ne puisse vous reconnaitre, sans armes, vous soyez a la Blanche-Lande : il lui faut, pour atteindre le lieu du jugement, passer le fleuve en barque ; sur la rive opposee, la ou seront les chevaliers du roi Artur, vous l'attendrez. Sans doute, alors, vous pourrez lui porter aide. Ma dame redoute le jour du jugement : pourtant elle se fie en la courtoisie de Dieu, qui deja sut l'arracher aux mains des lepreux.
– Retourne vers la reine, beau doux ami, Perinis : dis-lui que je ferai sa volonte. »
Or, seigneurs, quand Perinis s'en retourna vers Tintagel, il advint qu'il apercut dans un fourre le meme forestier qui, naguere, ayant surpris les amants endormis, les avait denonces au roi. Un jour qu'il etait ivre, il s'etait vante de sa traitrise. L'homme, ayant creuse dans la terre un trou profond, le recouvrait habilement de branchages, pour y prendre loups et sangliers. Il vit s'elancer sur lui le valet de la reine et voulut fuir. Mais Perinis l'accula sur le bord du piege :
« Espion, qui as vendu la reine, pourquoi t'enfuir ? Reste la, pres de ta tombe, que toi-meme tu as pris le soin de creuser ! »
Son baton tournoya dans l'air en bourdonnant. Le baton et le crane se briserent a la fois, et Perinis le Blond, le Fidele, poussa du pied le corps dans la fosse couverte de branches.
Au jour marque pour le jugement, le roi Marc, Iseut et les barons de Cornouailles, ayant chevauche jusqu'a la