hommes, femmes et enfants, accoururent en foule hors de la ville a la rencontre d'Iseut ; et, menant grand deuil de l'exil de Tristan, ils faisaient fete a leur reine retrouvee. Au bruit des cloches, par les rues bien jonchees, encourtinees de soie, le roi, les comtes et les princes lui firent cortege ; les portes du palais s'ouvrirent a tous venants ; riches et pauvres purent s'asseoir et manger, et, pour celebrer ce jour, Marc, ayant affranchi cent de ses serfs, donna l'epee et le haubert a vingt bacheliers qu'il arma de sa main.

Cependant, la nuit venue, Tristan, comme il l'avait promis a la reine, se glissa chez le forestier Orri, qui l'hebergea secretement dans le cellier ruine. Que les felons se gardent !

Chapitre 12 LE JUGEMENT PAR LE FER ROUGE

Bientot, Denoalen, Andret et Gondoine se crurent en surete : sans doute, Tristan trainait sa vie outre la mer, en pays trop lointoin pour les atteindre. Donc, un jour de chasse, comme le roi, ecoutant les abois de sa meute, retenait son cheval au milieu d’un essart, tous trois chevaucherent vers lui :

« Roi, entends notre parole. Tu avais condamne la reine sans jugement, et c’etait forfaire. Aujourd’hui tu l’absous sans jugement : n'est-ce pas forfaire encore ? Jamais elle ne s'est justifiee, et les barons de ton pays vous en blament tous deux. Conseille-lui plutot de reclamer elle-meme le jugement de Dieu. Que lui en coutera-t-il, innocente, de jurer sur les ossements des saints qu'elle n'a jamais failli ? Innocente, de saisir un fer rougi au feu ? Ainsi le veut la coutume, et par cette facile epreuve seront a jamais dissipes les soupcons anciens. »

Marc, irrite, repondit :

« Que Dieu vous detruise, seigneurs cornouaillais, vous qui sans repit cherchez ma honte ! Pour vous j'ai chasse mon neveu : qu'exigez-vous encore ? Que je chasse la reine en Irlande ? Quels sont vos griefs nouveaux ? Contre les anciens griefs, Tristan ne s'est-il pas offert a la defendre ? Pour la justifier, il vous a presente la bataille et vous l'entendiez tous : que n'avez-vous pris contre lui vos ecus et vos lances ? Seigneurs, vous m'avez requis outre le droit ; craignez donc que l'homme pour vous chasse, je ne le rappelle ici ! »

Alors les couards tremblerent ; ils crurent voir Tristan revenu, qui saignait a blanc leurs corps.

« Sire, nous vous donnions loyal conseil, pour votre honneur, comme il sied a vos feaux ; mais nous nous tairons desormais. Oubliez votre courroux, rendez-nous votre paix ! »

Mais Marc se dressa sur ses arcons :

« Hors de ma terre, felons ! Vous n'aurez plus ma paix. Pour vous j'ai chasse Tristan ; a votre tour, hors de ma terre !

– Soit, beau sire ! Nos      chateaux sont forts, bien clos de pieux, sur des rocs rudes a gravir ! »

Et, sans le saluer, ils tournerent bride.

Sans attendre limiers ni veneurs, Marc poussa son cheval vers Tintagel, monta les degres de la salle, et la reine entendit son pas presse retentir sur les dalles.

Elle se leva, vint a sa rencontre, lui prit son epee, comme elle avait coutume, et s'inclina jusqu'a ses pieds. Marc la retint par les mains et la relevait, quand Iseut, haussant vers lui son regard, vit ses nobles traits tourmentes par la colere : tel il lui etait apparu jadis, forcene, devant le bucher.

« Ah ! pensa-t-elle, mon ami est decouvert, le roi l'a pris ! »

Son c?ur se refroidit dans sa poitrine, et sans une parole, elle s'abattit aux pieds du roi. Il la prit dans ses bras et la baisa doucement ; peu a peu, elle se ranimait :

« Amie, amie, quel est votre tourment ?

– Sire, j'ai peur ; je vous ai vu si courrouce !

– Oui, je revenais irrite de cette chasse.

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