ses bras.
Trois jours encore il tarda, ne pouvant se deprendre du pays ou vivait la reine. Mais, quand vint le quatrieme jour, il prit conge du forestier qui l'avait heberge et dit a Gorvenal :
« Beau maitre, voici l'heure du long depart : nous irons vers la terre de Galles. »
Ils se mirent a la voie, tristement, dans la nuit. Mais leur route longeait le verger enclos de pieux ou Tristan, jadis, attendait son amie. La nuit brillait, limpide. Au detour du chemin, non loin de la palissade, il vit se dresser dans la clarte du ciel le tronc robuste du grand pin.
« Beau maitre, attends sous le bois prochain ; bientot je serai revenu.
– Ou vas-tu ? Fou, veux-tu sans repit chercher la mort ? »
Mais deja, d'un bond assure, Tristan avait franchi la palissade de pieux. Il vint sous le grand pin, pres du perron de marbre clair. Que servirait maintenant de jeter a la fontaine des copeaux bien tailles ? Iseut ne viendrait plus ! A pas souples et prudents, par le sentier qu'autrefois suivait la reine, il s'approcher du chateau.
Dans sa chambre, entre les bras de Marc dormi, Iseut veillait. Soudain, par la croisee entr'ouvert ou se jouaient les rayons de la lune, entra la voix d'un rossignol.
Iseut ecoutait la voix sonore qui venait enchanter la nuit, et la voix s'elevait plaintive et telle qu'il n'est pas de c?ur cruel, pas de c?ur de meurtrier, qu'elle n'eut attendri. La reine songea : « D'ou vient cette melodie ?… » Soudain elle comprit : « Ah ! c'est Tristan ! ainsi dans la foret du Morois il imitait pour charmer les oiseaux chanteurs. Il part, et voici son dernier adieu. Comme il se plaint ! Tel le rossignol quand il prend conge, en fin d'ete, a grande tristesse. Ami, jamais plus je n'entendrai ta voix ! »
La melodie vibra plus ardente.
« Ah ! qu'exiges-tu ? Que je vienne ? Non ! Souviens-toi d'Ogrin l'ermite, et des serments jures. Tais-toi, la mort nous guette… Qu'importe la mort ? Tu m'appelles, tu me veux, je viens ! »
Elle se delaca des bras du roi et jeta un manteau fourre de gris sur son corps presque nu. Il lui fallait traverser la salle voisine, ou chaque nuit dix chevaliers veillaient a tour de role : tandis que cinq dormaient, les cinq autres, en armes, debout devant les huis et les croisees, guettaient au dehors. Mais, par aventure, ils s'etaient tous endormis, cinq sur des lits, cinq sur les dalles. Iseut franchit leurs corps epars, souleva la barre de la porte : l'anneau sonna, mais sans eveiller aucun des guetteurs. Elle franchit le seuil. Et le chanteur se tut.
Sous les arbres, sans une parole, il la pressa contre sa poitrine ; leurs bras se nouerent fermement autour de leurs corps, et jusqu'a l'aube, comme cousus par des lacs, ils ne se deprirent pas de l'etreinte. Malgre le roi et les guetteurs, les amants menent leur joie et leurs amours.
Cette nuitee affola les amants ; et les jours qui suivirent, comme le roi avait quitte Tintagel pour tenir ses plaids a Saint-Lubin, Tristan, revenu chez Orri, osa chaque matin, au clair de lune, se glisser par le verger jusqu'aux chambres des femmes.
Un serf le surprit et s'en fut trouver Andret, Denoalen et Gondoine :
« Seigneurs, la bete que vous croyez delogee est revenue au repaire.
– Qui ?
– Tristan.
– Quand l'as-tu vu ?
– Ce matin, et je l'ai bien reconnu. Et vous pourrez pareillement, demain, a l'aurore, le voir venir, l'epee ceinte, un arc dans une main, deux fleches dans l'autre.
– Ou le verrons-nous ?
– Par telle fenetre que je sais. Mais, si je vous le montre, combien me donnerez-vous ?
– Trente marcs d'argent, et tu seras un manant riche.
– Donc, ecoutez, dit le serf. On peut voir