Blanche-Lande, parvinrent en bel arroi devant le fleuve, et, masses au long de l'autre rive, les chevaliers d'Artur les saluerent de leurs bannieres brillantes.

Devant eux, assis sur la berge, un pelerin misereux, enveloppe dans sa chape, ou pendaient des coquilles, tendait sa sebile de bois et demandait l'aumone d'une voix aigue et dolente.

A force de rames, les barques de Cornouailles approchaient. Quand elles furent pres d'atterrir, Iseut demanda aux chevaliers qui l'entouraient :

« Seigneurs, comment pourrais-je atteindre la terre ferme, sans souiller mes longs vetements dans cette fange ? Il faudrait qu'un passeur vint m'aider. »

L'un des chevaliers hela le pelerin.

« Ami, retrousse ta chape, descends dans l'eau et porte la reine, si pourtant tu ne crains pas, casse comme je te vois, de flechir a mi-route. »

L'homme prit la reine dans ses bras. Elle lui dit tout bas : « Ami ! » Puis, tout bas encore : « Laisse-toi choir sur le sable. »

Parvenu au rivage, il trebucha et tomba, tenant la reine pressee entre ses bras. Ecuyers et mariniers, saisissant les rames et les gaffes, pourchassaient le pauvre here.

« Laissez-le, dit la reine ; sans doute un long pelerinage l'avait affaibli. »

Et, detachant un fermail d'or fin, elle le jeta au pelerin.

Devant le pavillon d'Artur, un riche drap de soie de Nicee etait etendu sur l'herbe verte, et les reliques des saints, retirees des ecrins et des chasses, y etaient deja disposees. Monseigneur Gauvain, Girflet et Ke le senechal les gardaient.

La reine, ayant supplie Dieu, retira les joyaux de son cou et de ses mains et les donna aux pauvres mendiants ; elle detacha son manteau de pourpre et sa guimpe fine, et les donna ; elle donna son chainse et son bliaut et ses chaussures enrichies de pierreries. Elle garda seulement sur son corps une tunique sans manches, et, les bras et les pieds nus, s'avanca devant les deux rois. A l'entour, les barons la contemplaient en silence, et pleuraient. Pres des reliques brulait un brasier. Tremblante, elle etendit la main droite vers les ossements des saints, et dit :

« Roi de Logres, et vous, roi de Cornouailles, et vous, sire Gauvain, sire Ke, sire Girflet, et vous tous qui serez mes garants, par ces corps saints et par tous les corps saints qui sont en ce monde, je jure que jamais un homme ne de femme ne m'a tenue entre ses bras, hormis le roi Marc, mon seigneur, et le pauvre pelerin qui, tout a l'heure, s'est laisse choir a vos yeux. Roi Marc, ce serment convient-il ?

– Oui, reine, et que Dieu manifeste son vrai jugement !

– Amen ! » dit Iseut.

Elle s'approcha du brasier, pale et chancelante. Tous se taisaient ; le fer etait rouge. Alors, elle plongea ses bras nus dans la braise, saisit la barre de fer, marcha neuf pas en la portant, puis, l'ayant rejetee, etendit ses bras en croix, les paumes ouvertes. Et chacun vit que sa chair etait plus saine que prune de prunier.

Alors de toutes les poitrines un grand cri de louange monta vers Dieu.

Chapitre 13 LA VOIX DU ROSSIGNOL

Quand Tristan, rentre dans la cabane du forestier Orri, eut rejete son bourdon et depouille sa chape de pelerin, il connut clairement en son c?ur que le jour etait venu pour tenir la foi juree au roi Marc et de s’eloigner du pays de Cornouailles.

Que tardait-il encore ? La reine s’etait justifiee, le roi la cherissait, il l’honorait. Artur au besoin la prendrait en sa sauvegarde, et, desormais, nulle felonie ne prevaudrait contre elle. Pourquoi plus longtemps roder aux alentours de Tintagel ? Il risquait vainement sa vie, et la vie du forestier, et le repos d'Iseut. Certes, il fallait partir, et c'est pour la derniere fois, sous sa robe de pelerin, a la Blanche-Lande, qu'il avait senti le beau corps d'Iseut fremir entre

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