dans la chambre de la reine par une fenetre etroite qui la domine, car elle est percee tres haut dans la muraille. Mais une grande courtine tendue a travers la chambre masque le pertuis. Que demain l'un de vous trois penetre bellement dans le verger ; il coupera une longue branche d'epine et l'aiguisera par le bout ; qu'il se hisse alors jusqu'a la haute fenetre et pique la branche, comme une broche, dans l'etoffe de la courtine ; il pourra ainsi l'ecarter legerement, et vous ferez bruler mon corps, seigneurs, si, derriere la tenture, vous ne voyez pas alors ce que je vous ai dit. »
Andret, Gondoine et Denoalen debattirent lequel d'entre eux aurait le premier la joie de ce spectacle, et convinrent enfin de l'octroyer d'abord a Gondoine. Ils se separerent : le lendemain, a l'aube, ils se retrouveraient. Demain, a l'aube, beaux seigneurs, gardez-vous de Tristan !
Le lendemain, dans la nuit encore obscure, Tristan, quittant la cabane d'Orri le forestier, rampa vers le chateau sous les epais fourres d'epines. Comme il sortait d'un hallier, il regarda par la clairiere et vit Gondoine qui s'en venait de son manoir. Tristan se rejeta dans les epines et se tapit en embuscade :
« Ah ! Dieu ! fais que celui qui s'avance la-bas ne m'apercoive pas avant l'instant favorable ! »
L'epee au poing, il l'attendait ; mais, par aventure, Gondoine prit une autre voie et s'eloigna. Tristan sortit du hallier, decu, banda son arc, visa ; helas ! l'homme etait deja hors de portee.
A cet instant, voici venir au loin, descendant doucement le sentier, a l'amble d'un petit palefroi noir, Denoalen, suivi de deux grands levriers. Tristan le guetta, cache derriere un pommier. Il le vit qui excitait ses chiens a lever un sanglier dans un taillis. Mais, avant que les levriers l'aient deloge de sa bauge, leur maitre aura recu telle blessure que nul medecin ne saura le guerir. Quand Denoalen fut pres de lui, Tristan rejeta sa chape, bondit, se dressa devant son ennemi. Le traitre voulut fuir ; vainement : il n'eut pas le loisir de crier : « Tu me blesses ! » Il tomba de cheval. Tristan lui coupa la tete, trancha les tresses qui pendaient autour de son visage et les mit dans sa chausse : il voulait les montrer a Iseut pour en rejouir le c?ur de son amie. «Helas ! songeait-il, qu'est devenu Gondoine ? Il s'est echappe : quen'ai-je pu lui payer meme salaire ! »
Il essuya son epee, la remit en sa gaine, traina sur le cadavre un tronc d'arbre, et, laissent le corps sanglant, il s'en fut, le chaperon en tete, vers son amie.
Au chateau de Tintagel, Gondoine l'avait devance : deja, grimpe sur la haute fenetre, il avait pique sa baguette d'epine dans la courtine, ecarte legerement deux pans de l'etoffe, et regardait au travers la chambre bien jonchee. D'abord, il n'y vit personne que Perinis ; puis, ce fut Brangien, qui tenait encore le peigne dont elle venait de peigner la reine aux cheveux d'or.
Mais Iseut entra, puis Tristan. Il portait d'une main son arc d'aubier et deux fleches ; dans l'autre, il tenait deux longues tresses d'homme.
Il laissa tomber sa chape, et son beau corps apparut. Iseut la Blonde s'inclina pour le saluer, et comme elle se redressait, levant la tete vers lui, elle vit, projetee sur la tenture, l'ombre de la tete de Gondoine. Tristan lui disait.
« Vois-tu ces belles tresses ? Ce sont celles de Denoalen. Je t'ai vengee de lui. Jamais plus il n'achetera ni ne vendra ecu ni lance !
– C'est bien, seigneur ; mais tendez cet arc, je vous prie ; je voudrais voir s'il est commode a bander. »
Tristan le tendit, etonne, comprenant a demi. Iseut prit l'une des deux fleches, l'encocha, regarda si la corde etait bonne, et dit, a voix basse et rapide :
« Je vois chose qui me deplait. Vise bien, Tristan ! »
Il prit la pose, leva la tete et vit, tout au haut de la courtine, l'ombre de la tete de Gondoine.
« Que Dieu, fait-il, dirige cette fleche ! » Il dit, se retourne vers la paroi, tire. La longue fleche siffle dans l'air, emerillon ni hirondelle ne vole si vite, creve l'?il du traitre, traverse sa cervelle comme la chair d'une pomme, et s'arrete, vibrante, contre le crane. Sans un cri, Gondoine s'abattit et tomba sur un pieu.
Alors Iseut dit a Tristan :
« Fuis maintenant, ami ! Tu le vois,