pareillement son epee, et sa harpe est enchantee, qui chaque jour verse des poisons au c?ur du roi Marc ! Comme il a su dompter ce c?ur par puissance et charme de sorcellerie ! Il sera roi, seigneurs, et vous tiendrez vos terres d'un magicien ! »
Ils persuaderent la plupart des barons : car beaucoup d'hommes ne savent pas que ce qui est du pouvoir des magiciens, le c?ur peut aussi l'accomplir par la force de l'amour et de la hardiesse. C'est pourquoi les barons presserent le roi Marc de prendre a femme une fille de roi, qui lui donnerait des hoirs ; s'il refusait, ils se retireraient dans leurs forts chateaux pour le guerroyer. Le roi resistait et jurait en son c?ur qu'aussi longtemps que vivrait son cher neveu, nulle fille de roi n'entrerait en sa couche. Mais, a son tour, Tristan qui supportait a grand'honte le soupcon d'aimer son oncle a bon profit, le menaca : que le roi se rendit a la volonte de sa baronnie ; sinon, il abandonnerait la cour, il s'en irait servir le riche roi de Gavoie. Alors Marc fixa un terme a ses barons : a quarante jours de la, il dirait sa pensee.
Au jour marque, seul dans sa chambre, il attendait leur venue et songeait tristement : « Ou donc trouver fille de roi si lointaine et inaccessible que je puisse feindre, mais feindre seulement, de la vouloir pour femme ? »
A cet instant, par la fenetre ouverte sur la mer, deux hirondelles qui batissaient leur nid entrerent en se querellant, puis, brusquement effarouchees, disparurent. Mais de leurs becs s'etait echappe un long cheveu de femme, plus fin que fil de soie, qui brillait comme un rayon de soleil.
Marc, l'ayant pris, fit entrer les barons et Tristan, et leur dit :
« Pour vous complaire, seigneurs, je prendrai femme, si toutefois vous voulez querir celle que j'ai choisie.
– Certes, nous le voulons, beau seigneur ; qui donc est celle que vous avez choisie ?
– J'ai choisi celle a qui fut ce cheveu d'or, et sachez que je n'en veux point d'autre ;
– Et de quelle part, beau seigneur, vous vient ce cheveu d'or ? qui vous l'a porte ? et de quel pays ?
– Il me vient, seigneurs, de la Belle aux cheveux d'or ; deux hirondelles me l'ont porte ; elles savent de quel pays. »
Les barons comprirent qu'ils etaient railles et decus. Ils regardaient Tristan avec depit, car ils le soupconnaient d'avoir conseille cette ruse. Mais Tristan, ayant considere le cheveu d'or, se souvint d'Iseut la Blonde. Il sourit et parla ainsi :
« Roi Marc, vous agissez a grand tort ; et ne voyez-vous pas que les soupcons de ces seigneurs me honnissent ? Mais vainement vous avez prepare cette derision : j'irai querir la Belle aux cheveux d'or. Sachez que la quete est perilleuse et qu'il me sera plus malaise de retourner de son pays que de l'ile ou j'ai tue le Morholt ; mais de nouveau je veux mettre pour vous, bel oncle, mon corps et ma vie a l'aventure. Afin que vos barons connaissent si je vous aime d'amour loyal, j'engage ma foi par ce serment : ou je mourrai dans l'entreprise, ou je ramenerai en ce chateau de Tintagel la Reine aux blonds cheveux.»
Il equipa une belle nef, qu'il garnit de froment, de vin, de miel et de toutes bonnes denrees. Il y fit monter, outre Gorvenal, cent jeunes chevaliers de haut parage, choisis parmi les plus hardis, et les affubla de cottes de bure et de chapes de camelin grossier, en sorte qu'ils ressemblaient a des marchands ; mais, sous le pont de la nef, ils cachaient les riches habits de drap d'or, de cendal et d'ecarlate, qui conviennent aux messagers d'un roi puissant.
Quand la nef eut pris le large, le pilote demanda :
« Beau seigneur, vers quelle terre naviguer ?
– Ami, cingle vers l'Irlande, droit au port de Weisefort. »
Le pilote fremit. Tristan ne savait-il pas que, depuis le meurtre du Morholt, le roi d'Irlande pourchassait les nefs cornouaillaises ? Les mariniers saisis, il les pendait a des fourches. Le pilote obeit pourtant et gagna la terre perilleuse.
D'abord, Tristan sut persuader aux hommes de Weisefort que ses compagnons etaient des marchands d'Angleterre venus pour trafiquer en paix. Mais, comme ces marchands d'etrange