l’epreuve etait dure et tant ses blessures la faisaient souffrir.
Une ou deux fois elle leva la tete vers la silhouette sombre du vaisseau, et sur son visage se peignit un melange de crainte et d’espoir : elle attendait le tir de sommation, l’explosion et le jaillissement de lumiere laser signifiant que les autogardes du vaisseau ne les reconnaissaient pas, que le drone et la combinaison de Horza etaient tous deux trop endommages pour etre encore identifies, que c’etait fini, qu’elle etait condamnee a mourir la, a cent metres a peine du salut – mais un ensemble de circuits fideles, automatiques, inconscients l’empecha de se laisser aller…
… Le monte-charge s’ouvrit d’un coup lorsqu’elle introduisit la bague de Horza dans le panneau de controle. Elle fit monter le drone et le blesse dans la soute. La machine dissertait a voix basse ; l’homme etait aussi immobile et muet qu’une statue tombee.
Son intention etait de couper les autogardes du vaisseau et de retourner aussitot chercher le Mental, mais la rigidite glacee de l’homme l’effraya. Elle partit en quete du medikit d’urgence et alluma le chauffage de la soute, mais lorsqu’elle revint aupres de la civiere, le Metamorphe glace dont le visage n’exprimait plus rien etait mort.
LA GUERRE IDIRANS-CULTURE
[Les trois passages qui vont suivre sont extraits de l’ouvrage
Ce fut, ainsi que la Culture le comprit des le depart, une guerre de religion au sens le plus complet du terme. La Culture entra en guerre afin de sauvegarder sa propre tranquillite d’esprit ; rien de plus. Mais cette serenite etait la caracteristique la plus precieuse de la Culture, peut-etre meme son seul et authentique tresor.
En theorie comme en pratique, la Culture avait depasse les concepts de richesse ou d’empire. La notion meme de monnaie – consideree par elle comme une forme de rationnement rudimentaire, inefficace et exagerement complexe – n’avait pas sa place dans sa societe proprement dite, puisque la capacite de ses moyens de production depassait globalement ce que pouvait exiger tout citoyen raisonnable (voire deraisonnable) non depourvu d’imagination. A une exception pres, ces exigences etaient donc satisfaites dans le contexte de la Culture.
L’espace vital ne manquait pas, principalement concentre sur des Orbitales qui ne coutaient pas cher en matiere premiere ; les minerais existaient en quantite pratiquement illimitee, aussi bien entre les etoiles qu’a l’interieur des systemes stellaires. Et l’energie etait encore plus abondante, par le biais de la fusion ou de l’annihilation, quand elle ne provenait pas du Reseau lui-meme ou encore des etoiles, soit qu’on se l’approprie indirectement par le biais du rayonnement absorbe dans l’espace, soit qu’on aille directement la chercher dans le noyau stellaire. La Culture n’avait donc nul besoin de coloniser, d’exploiter ou d’asservir.
L’unique desir que la Culture ne put assouvir en son sein etait commun a ses citoyens de souche humaine et aux machines a qui ceux-ci avaient donne le jour (aussi tenu que fut entre eux le degre de parente) : le besoin imperieux de ne pas se sentir inutile. La Culture n’apportait qu’une seule justification a l’existence relativement sereine et hedoniste dont jouissait sa population : ses « bonnes ?uvres », l’evangelisme seculaire de la Section Contact, qui ne se contentait pas de decouvrir, cataloguer, etudier et analyser d’autres civilisations moins avancees mais – lorsque, a ses yeux, les circonstances s’y pretaient – intervenait (ouvertement ou non) dans le processus historique de ces cultures etrangeres.
Avec une espece de suffisance contrite, Contact – et donc la Culture – prouvait statistiquement que cet usage bienveillant et mesure de la « technologie de la compassion » (pour employer une expression alors en vogue) debouchait sur des resultats concrets : les techniques mises au point pour influencer le cours des civilisations amelioraient de maniere significative la qualite de la vie de leurs sujets, sans pour autant nuire a ladite societe dans son ensemble en lui imposant un contact avec une culture plus avancee.
Confrontee a une societe d’inspiration religieuse bien decidee a etendre son influence sur toute civilisation technologiquement inferieure qui se trouverait sur son chemin, sans se preoccuper ni du nombre de vies sacrifiees au cours de la conquete, ni de l’usure resultant de l’occupation de ces mondes, la Section Contact avait deux possibilites : soit elle se degageait et admettait sa defaite – contredisant ainsi non seulement sa propre raison d’etre, mais aussi l’unique demarche justificative permettant aux sujets fortunes, mais culpabilises, de la Culture, de profiter de la vie en gardant la conscience tranquille –, soit elle decidait de se battre. Ayant prepare et cuirasse sa propre structure, mais aussi l’opinion publique, pendant des decennies, au temps ou elle se cantonnait dans l’attitude decrite plus haut, elle finit inevitablement, ainsi que l’aurait fait tout organisme qui voit son existence menacee, par se rabattre sur la seconde solution.
Nonobstant la vision profondement materialiste et utilitariste de la Culture, le fait qu’Idir n’ait pas eu la moindre intention malveillante a l’egard d’aucune de ses provinces n’entra guere en ligne de compte. Indirectement, mais indeniablement, la Culture se sentait
Malgre les apparences, ce fut la Culture, et non Idir, qui fut
Les Idirans etaient d’ores et deja en guerre ; ils conqueraient les especes qu’ils tenaient pour inferieures et les asservissaient sous le joug d’un empire essentiellement religieux, qui n’etait qu’accessoirement un empire commercial. A leurs yeux, il etait clair des le depart que leur
Bien avant qu’on se decide a la declarer, la guerre etait deja consideree par le haut commandement idiran comme le prolongement des hostilites constantes qu’exigeait la colonisation theologique et disciplinaire ; elle ne representait par ailleurs qu’une escalade limitee – tant quantitative que qualitative – des conflits armes face au niveau technologique quasi equivalent au leur qu’avait atteint la Culture.
S’il etait universellement admis, chez les Idirans, qu’apres avoir tape une bonne fois sur la table les gens de la Culture battraient en retraite, quelques rares decideurs idirans predirent que, si la Culture s’averait aussi determinee que l’envisageait le « pire scenario possible », on parviendrait peut-etre a un accord politiquement judicieux qui sauverait la face et comporterait des avantages pour les deux camps. Cela impliquerait un pacte ou