— Bala… bala…, le train entre en gare quai numero un…

— … Drone, murmura Horza dont le regard passa par-dessus la tete de Balveda. (Elle acquiesca, puis vit les yeux du Metamorphe se revulser comme s’il essayait de voir derriere lui.) Xoxarle…, fit-il a voix basse. Qu’est-ce qui s’est passe ?

— Je l’ai abattu.

— … Bala bala ouvre tes bras, va dehors et va dedans, un de plus, une fois de plus… Y a quelqu’un la- dedans ?

— Avec quoi ? fit Horza dans un souffle.

Elle dut se pencher sur lui pour distinguer ses mots. Puis elle tira la minuscule arme de sa poche.

— Avec ca. (Elle ouvrit la bouche et lui montra l’emplacement vide d’une de ses molaires.) Memoforme. L’arme fit partie de moi ; elle a vraiment l’air d’une vraie dent, tu sais.

Elle essaya de sourire, mais douta qu’il fut capable de distinguer l’objet. Le Metamorphe ferma les yeux.

— Pas bete, fit-il tout bas.

Le sang coulait a flots de sa tete et se melangeait a la maree mauve que deversait le cadavre demembre de Xoxarle.

— Je vais te ramener, Horza. Je te le promets. Je te ramenerai au vaisseau. Tu vas t’en tirer. Je ferai tout pour ca. Tu t’en sortiras.

— Tu ferais ca ? demanda doucement Horza, les yeux clos. Merci, Perosteck.

— Merci bal bal bala. Steckoper, Tsah-hor, Aha-Un-Clops… Lalatra, lalatra, et malgre tout, pensez encore. Nous vous prions de nous excuser pour la gene que pourrait vous causer… C’est quoi le ou, le quand, le comment, le qui et ou quand pourquoi comment, et ainsi de…

— Ne t’en fais pas, fit Balveda en effleurant le visage trempe du blesse.

Un peu d’eau degoutta de sa tete sur le visage du Metamorphe. Celui-ci rouvrit les yeux, regarda ca et la, puis se concentra sur la jeune femme avant de contempler le tronc affaisse de l’Idiran. Puis il passa au drone, et finit par inspecter les parois et la mare qui l’entouraient. Il murmura quelques mots sans regarder Balveda.

— Quoi ? fit celle-ci en se penchant sur le Metamorphe au moment ou il refermait les yeux.

— Bala, lanca la machine depuis le plafond. Bala bala bala. Ha ha. Bala bala bala.

— Quel idiot ! enonca Horza avec une grande clarte bien que sa voix s’affaiblisse a mesure qu’il perdait conscience. Quel… fichu… idiot.

Il hocha imperceptiblement la tete, ce qui ne parut pas le faire souffrir. Des gouttes tombant du plafond souleverent des eclaboussures rouges et mauves dans l’eau qui stagnait sous sa tete et lui maculait le visage, puis laverent a nouveau ce dernier.

— Les Jinmoti de…, grommela l’homme.

— Quoi ? repeta Balveda en se penchant encore plus pres.

— Danatre skehellis, annonca Unaha-Closp, ro vleh gra’amp na zhire ; sko tre genebellis ro binitshire, na’sko voross amptfenir-an har. Bala.

Brusquement, les yeux du Metamorphe s’ecarquillerent et sur ses traits se peignit une expression d’horreur absolue, une mimique traduisant une terreur si grande que Balveda elle-meme se sentit frissonner. Ses cheveux se herisserent sur sa nuque malgre l’eau qui s’efforcait de les y plaquer. Tout a coup, les mains de Horza se leverent et agripperent la veste de la jeune femme dans une formidable etreinte.

— Mon nom ! gemit-il d’une voix qui trahissait son angoisse encore plus nettement que son expression. Quel est mon nom ?

— Bala bala bala, murmura le drone.

Balveda deglutit et sentit les larmes lui picoter les paupieres. Elle effleura la main blanche qui serrait la sienne.

— Horza, repondit-elle avec douceur. Horza Bora Gobuchul.

— Bala bala bala bala, enonca le drone d’un ton calme, presque reveur. Bala bala bala.

L’etreinte de l’homme se desserra ; l’epouvante s’effaca progressivement de ses traits. Il se detendit, referma les paupieres ; sur sa bouche se dessina comme un sourire.

— Bala bala.

— Ah, oui…, chuchota Horza.

— Bala.

— … bien sur.

— La.

14. Considere Phlebas

Balveda fit face au desert de neige. Il faisait nuit. La lune du Monde de Schar brillait d’un eclat vif dans un ciel d’encre tout cloute d’etoiles. L’air etait immobile, froid et piquant ; a quelque distance de la, sur la plaine immaculee et baignee de clair de lune, se dressait la Turbulence Atmospherique Claire, a demi ensevelie sous la congere qu’elle avait elle-meme contribue a former.

La jeune femme s’arreta un instant a la sortie des tunnels obscurs, se tourna vers la nuit et frissonna.

Le Metamorphe inconscient gisait sur une civiere confectionnee a partir de feuilles de plastique recuperees dans le deraillement et portee par le drone, toujours incoherent. Elle lui avait egalement pose un bandage sur la tete ; qu’aurait-elle pu faire d’autre pour l’aider ? Les medikits avaient ete emportes par l’accident du train, comme tout ce que contenait la palette, et enfouis dans les decombres refroidis et couverts de mousse, qui emplissaient la station 7. Le Mental pouvait se maintenir en l’air ; elle l’avait trouve ainsi dans un coin de la gare. Il obeissait aux ordres, mais ne pouvait ni parler, ni faire le moindre signe, et encore moins se propulser par lui-meme. Elle lui avait dit de rester en etat d’apesanteur, puis l’avait tire et pousse, ainsi que le drone-civiere, jusqu’au transtube le plus proche.

Une fois qu’ils furent installes dans la petite capsule prevue pour transporter du fret, le trajet ne dura qu’une demi-heure. Balveda ne s’etait pas arretee pour ramasser les morts.

Elle avait pose des attelles sur son bras, qu’elle portait a present en echarpe. Pendant le voyage en capsule, elle avait transe-dormi un petit moment, puis transporte sa cargaison et retraverse tout le secteur habitation devaste jusqu’a la sortie des tunnels, ou gisait maintenant le Metamorphe, dont on aurait jure qu’il etait mort de froid. Elle prit quelques instants de repos, assise par terre dans la penombre du tunnel, au milieu de la neige amassee la par le vent, avant de se diriger vers le vaisseau.

Elle se sentait des elancements sourds dans le dos, une pulsation douloureuse dans la tete, et son bras etait tout engourdi. Elle portait au doigt la bague prise a Horza ; restait a esperer qu’en reperant la combinaison du blesse et les circuits du drone, le vaisseau les identifierait et les laisserait approcher.

Sinon, tout simplement, ce serait la mort pour tous.

Elle reporta son regard sur Horza.

Son visage etait blanc comme la neige, et tout aussi vide d’expression. Les traits etaient les memes, bien reconnaissables, mais semblaient en un sens deconnectes les uns des autres, conferant ainsi un aspect anonyme a un visage qui manquait deja de caractere, d’animation, de substance. On aurait dit que chacun des roles joues par cet homme tout au long de sa vie etait sorti de lui en profitant de son coma, emportant avec lui une petite part de la veritable personnalite du Metamorphe et le laissant vide, entierement depouille.

Sous la civiere, le drone se mit a deblaterer un court instant dans une langue que Balveda ne reconnut pas, et sa voix se repercuta dans le tunnel. Puis le silence revint. Quant au Mental, il se contentait de flotter sur place, immobile ; sa coque ellipsoidale au revetement argente, terni mais reflechissant et irise par endroits, renvoyait a Balveda sa propre image ; s’y refletaient aussi l’obscurite du dehors, ainsi que l’homme et le drone.

Elle se releva peniblement et, d’une main, orienta la civiere vers le vaisseau, par-dessus le tapis de neige qui scintillait au clair de lune, ou elle s’enfonca jusqu’a mi-cuisses. Dans le silence, l’ombre bleu acier de la jeune femme absorbee dans son effort se dessinait du cote oppose a la lune, pointant vers les montagnes lointaines et noires ou une masse de nuages orageux planait telle une seconde nuit, encore plus impenetrable. Elle laissait derriere elle une trace qui repartait, profonde et inegale, vers l’entree de la grotte. Elle pleurait sans bruit tant

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