Elle s’arreta et se redressa ; son visage s’apaisa et elle cessa de tousser. Le drone s’immobilisa a son tour et la regarda. Elle se tourna vers lui. Elle respirait normalement et, si son teint etait toujours terreux, son visage exprimait a present la serenite. Elle ramena de derriere son dos une main pleine de sang, et de l’autre elle essuya son front et son ?il rougis. Puis elle sourit.
— Tu vois, fit-elle encore.
Alors ses yeux se fermerent, elle se plia en deux, ses genoux flechirent et elle tomba la tete la premiere vers le quai.
Unaha-Closp la rattrapa au vol et l’emporta ; il prit la premiere porte qu’il rencontra et se dirigea vers les salles de controle ainsi que le secteur habitation.
Des que l’air redevint respirable, avant meme qu’ils n’aient parcouru dix metres de couloir, Balveda reprit conscience. Des explosions tonnaient derriere eux et l’air s’engouffrait par rafales dans la galerie, telles les pulsations d’un formidable c?ur au rythme irregulier. L’eclairage clignota encore ; l’eau se mit a tomber goutte a goutte puis a flots.
— Tu vois bien… que ca va…, marmotta Balveda.
Le drone la laissa s’agiter. Ils etaient presque arrives a la salle de controle et l’air etait toujours respirable ; en outre, le taux de radiations baissait. De nouvelles explosions ebranlerent la gare ; les cheveux de Balveda et la fourrure de sa veste ondulaient sous les courants d’air et liberaient des flocons de mousse. L’eau pleuvait ca et la, par grosses gouttes qui s’ecrasaient au sol ou par jets qui eclaboussaient les murs.
Le drone franchit la porte de la salle de controle ; ici les lumieres ne clignotaient pas, l’air etait sain et le plafond sec : l’eau qui degouttait sur le sol revetu de plastique provenait exclusivement du corps de Balveda et de la coque d’Unaha-Closp.
— Voila qui est mieux, dit ce dernier en deposant la jeune femme sur un siege.
De nouvelles detonations assourdies firent fremir l’air et la roche. Des eclairs lumineux surgissaient de part et d’autre de la piece sur chaque panneau de controle, chaque console de commande.
Le drone installa confortablement Balveda puis lui fit mettre la tete en bas, entre ses genoux, et entreprit de l’eventer. Les explosions tonnaient toujours et ebranlaient l’atmosphere de la piece comme… comme… comme si un geant tapait du pied !
Boum-
Unaha-Closp releva la tete de Balveda et, juste au moment ou il allait la reprendre dans son champ, le bruit de pas derriere la porte se fit plus sonore, maintenant qu’il n’etait plus masque par les explosions. Tout a coup, les portes s’ouvrirent et Xoxarle fit irruption dans la piece, blesse, boiteux et tout degoulinant d’eau ; voyant le drone et Balveda, il vint tout droit sur eux.
Unaha-Closp partit comme un boulet de canon en visant l’Idiran a la tete. Xoxarle l’intercepta d’une main et le projeta contre une console. Voyants et cadrans lumineux volerent en eclats. Une fumee acre s’eleva autour du drone, qui resta immobile, a moitie incruste dans une serie d’interrupteurs fondus tout crachotants d’electricite.
Balveda ouvrit les yeux et regarda tout autour d’elle ; son visage ensanglante exprimait l’affolement. Apercevant Xoxarle, elle voulut se diriger vers lui en ouvrant la bouche pour parler, mais ne reussit qu’a tousser. L’Idiran s’empara d’elle et lui immobilisa les bras contre les flancs. Puis il se retourna vers les portes qu’il venait de fracasser et s’accorda une seconde pour reprendre son souffle.
Il savait tres bien que ses forces l’abandonnaient. Le Metamorphe avait pratiquement carbonise ses plaques de keratine dorsales en lui tirant dessus dans le tunnel, et sa jambe egalement touchee le ralentissait de plus en plus. L’humain ne tarderait plus a le rattraper… Il regarda la femme qu’il tenait prisonniere et decida de ne pas la tuer tout de suite.
— Tu peux peut-etre paralyser le doigt que le nabot s’apprete a appuyer sur la detente…, souffla-t-il.
Il jeta Balveda sur son epaule et gagna aussi vite que le lui permettait son boitillement la porte des dortoirs et de la zone habitation, par ou l’on pouvait rejoindre le secteur reparation. Il l’ouvrit d’un coup de genou et la laissa se refermer seule derriere lui.
— … Mais j’en doute, conclut-il en s’enfoncant dans le court tunnel menant au premier dortoir, ou les filets se balancaient sous une lumiere incertaine, intermittente.
Au plafond, le systeme anti-incendie se mettait en marche.
Dans la salle de controle, Unaha-Closp se degagea et constata que sa coque etait couverte de morceaux de plastique brule : les gaines des fils electriques fondus.
— Ordure, fit-il un peu sonne. (Il s’eleva en vacillant au-dessus de la console fumante.) Espece de menagerie cellulaire ambulante…
Le drone opera un demi-tour mal assure dans les airs et partit vers la porte par laquelle avait disparu Xoxarle. Arrive la, il hesita puis, avec une sorte de fremissement equivalant chez les humains a un haussement d’epaules, entra dans le conduit et prit peu a peu de la vitesse.
Horza avait perdu l’Idiran. Il l’avait suivi dans le tunnel, puis avait franchi a sa suite une double porte fracassee. La, il avait hesite devant trois courts boyaux ou l’eclairage clignotait, ou l’eau pleuvait du plafond et ou la fumee planait en roulant ses volutes paresseuses : fallait-il prendre a gauche, a droite, ou tout droit ?
Il avait pris a droite, direction que l’Idiran avait du suivre s’il voulait gagner le transtube, s’il savait ou il allait, et s’il ne mijotait pas autre chose.
Et il s’etait fourvoye.
Horza agrippa son fusil. Sur son visage ruisselaient les fausses larmes issues des extincteurs automatiques d’incendie. Il sentit l’arme vibrer a travers ses gants ; une boule de chagrin s’enflait dans son ventre, lui serrait la gorge, lui mouillait les yeux et lui laissait un gout amer dans la bouche, tout en alourdissant ses mains et en lui contractant les machoires. Il s’arreta une nouvelle fois a un croisement, non loin des dortoirs ; torture par l’indecision, il regarda alternativement a droite puis a gauche sous la douche incessante, tandis que la fumee evoluait autour de lui dans la lumiere incertaine. Alors il entendit un cri et suivit son oreille.
La femme se debattait. Elle etait robuste, mais l’etreinte affaiblie de Xoxarle suffirait a neutraliser ses efforts. Ce dernier remonta en trainant la jambe le couloir menant a la grande caverne.
Balveda hurla, tenta de se liberer en gigotant, puis en lancant des coups de pied dans les cuisses et les genoux de l’Idiran. Mais celui-ci la maintenait trop serree contre son epaule. En outre, ses bras etaient toujours plaques contre ses flancs, et ses ruades ne pouvaient atteindre que les plaques de keratine qui s’incurvaient vers l’exterieur au-dessus de l’arriere-train de son ravisseur. Derriere elle, les filets de repos des batisseurs du Complexe oscillaient doucement sous les marees d’air qui submergeaient le long dortoir a chaque explosion dans le secteur des trains.
Elle entendit des coups de feu quelque part derriere eux et des portes sauter tout au bout de la piece etiree en longueur. Le bruit n’echappa pas a l’Idiran ; juste avant d’emerger en trombe du dortoir, il tourna la tete en arriere pour voir d’ou venait le bruit. Puis ils se retrouverent dans un couloir tres court debouchant sur la galerie qui faisait tout le tour de la zone entretien-reparation.
D’un cote de l’enorme caverne flambait un inextricable entassement de wagons disloques et de mecanismes irrecuperables. L’engin pilote par Wubslin avait percute l’arriere d’un autre train, stationne dans un immense renfoncement creuse a meme le roc, un peu sureleve par rapport au quai proprement dit. Des morceaux des deux vehicules gisaient epars comme des jouets tombes au sol, empiles contre les murs ou encore incrustes et tasses dans le plafond. La mousse tombait dans toute la caverne et se deposait en gresillant sur les decombres brulants, ou des flammes et des etincelles jaillissaient ca et la dans les voitures ratatinees.
Xoxarle glissa sur la surface de la galerie et, l’espace d’un instant, Balveda crut qu’ils allaient passer tous les deux par-dessus la rambarde, plonger vers le chaos des machines entassees en bas, puis s’ecraser sur le sol dur et froid. Mais l’Idiran recouvra son equilibre et fit demi-tour. Il partit d’un pas pesant vers le pont suspendu qui enjambait la caverne sur toute sa profondeur et rejoignait la galerie opposee, ou s’ouvrait un tunnel symetrique mais conduisant aux transtubes.
Elle entendait respirer l’Idiran. Ses oreilles carillonnantes parvenaient tout de meme a distinguer le crepitement des flammes, le chuintement de la mousse et le souffle rauque de la creature. Xoxarle la transportait