Guy de Maupassant
Pierre Et Jean
Preface – Le Roman
Je n’ai point l’intention de plaider ici pour le petit roman qui suit. Tout au contraire les idees que je vais essayer de faire comprendre entraineraient plutot la critique du genre d’etude psychologique que j’ai entrepris dans Pierre et Jean.
Je veux m’occuper du Roman en general.
Je ne suis pas le seul a qui le meme reproche soit adresse par les memes critiques, chaque fois que parait un livre nouveau.
Au milieu de phrases elogieuses, je trouve regulierement celle-ci, sous les memes plumes:
«Le plus grand defaut de cette ?uvre, c’est qu’elle n’est pas un roman a proprement parler.»
On pourrait repondre par le meme argument:
«Le plus grand defaut de l’ecrivain qui me fait l’honneur de me juger, c’est qu’il n’est pas un critique.»
Quels sont en effet les caracteres essentiels du critique?
Il faut que, sans parti pris, sans opinions preconcues, sans idees d’ecole, sans attaches avec aucune famille d’artistes, il comprenne, distingue et explique toutes les tendances les plus opposees, les temperaments les plus contraires, et admette les recherches d’art les plus diverses.
Or, le critique qui, apres
Generalement ce critique entend par roman une aventure plus ou moins vraisemblable, arrangee a la facon d’une piece de theatre en trois actes dont le premier contient l’exposition, le second l’action et le troisieme le denouement.
Cette maniere de composer est absolument admissible a la condition qu’on acceptera egalement toutes les autres.
Existe-t-il des regles pour faire un roman, en dehors desquelles une histoire ecrite devrait porter un autre nom?
Si
Quelles sont ces fameuses regles? D’ou viennent-elles? Qui les a etablies? En vertu de quel principe, de quelle autorite et de quels raisonnements?
Il semble cependant que ces critiques savent d’une facon certaine, indubitable, ce qui constitue un roman et ce qui le distingue d’un autre qui n’en est pas un. Cela signifie tout simplement que, sans etre des producteurs, ils sont enregimentes dans une ecole, et qu’ils rejettent, a la facon des romanciers eux-memes, toutes les ?uvres concues et executees en dehors de leur esthetique.
Un critique intelligent devrait, au contraire, rechercher tout ce qui ressemble le moins aux romans deja faits, et pousser autant que possible les jeunes gens a tenter des voies nouvelles.
Tous les ecrivains, Victor Hugo comme M. Zola, ont reclame avec persistance le droit absolu, droit indiscutable, de composer, c’est-a-dire d’imaginer ou d’observer, suivant leur conception personnelle de l’art. Le talent provient de l’originalite, qui est une maniere speciale de penser, de voir, de comprendre et de juger. Or, le critique qui pretend definir le Roman suivant l’idee qu’il s’en fait d’apres les romans qu’il aime, et etablir certaines regles invariables de composition, luttera toujours contre un temperament d’artiste apportant une maniere nouvelle. Un critique, qui meriterait absolument ce nom, ne devrait etre qu’un analyste sans tendances, sans preferences, sans passions, et, comme un expert en tableaux, n’apprecier que la valeur artiste de l’objet d’art qu’on lui soumet. Sa comprehension, ouverte a tout, doit absorber assez completement sa personnalite pour qu’il puisse decouvrir et vanter les livres memes qu’il n’aime pas comme homme et qu’il doit comprendre comme juge.
Mais la plupart des critiques ne sont, en somme, que des lecteurs, d’ou il resulte qu’ils nous gourmandent presque toujours a faux ou qu’ils nous complimentent sans reserve et sans mesure.
Le lecteur, qui cherche uniquement dans un livre a satisfaire la tendance naturelle de son esprit, demande a l’ecrivain de repondre a son gout predominant, et il qualifie invariablement de remarquable ou de bien ecrit l’ouvrage ou le passage qui plait a son imagination idealiste, gaie, grivoise, triste, reveuse ou positive.
En somme, le public est compose de groupes nombreux qui nous crient:
– Consolez-moi.
– Amusez-moi.
– Attristez-moi.
– Attendrissez-moi.
– Faites-moi rever.
– Faites-moi rire.