antenne qui veuille le recevoir! Il aimerait tant se decharger de tout ce poids, partager avec d'autres ce terrible savoir.

Une fourmi messagere thermique passe pres de lui. Le sentant deprime, elle croit qu'il est mal reveille et lui offre ses calories solaires.

Cela lui redonne un peu de force, qu'il utilise tout de suite pour essayer de la convaincre.

Alerte, une expedition a ete detruite dans une embuscade tendue par des naines, alerte!

Mais il n'a meme plus les accents de verite du debut.

La messagere thermique repart comme si de rien n'etait.

Le 327e ne renonce pas. Il court dans les couloirs en lachant son message d'alerte.

Parfois des guerrieres s'arretent, l'ecoutent, vont jusqu'a dialoguer avec lui, mais son histoire d'arme ravageuse est si peu credible.

Aucun groupe capable de prendre en charge une mission militaire ne se forme.

Il marche, abattu.

Soudain, alors qu'il parcourt un tunnel desert du quatrieme etage en sous-sol, il detecte un bruit derriere lui. Quelqu'un le suit.

Le 327e male se retourne. Avec ses ocelles infrarouges, il inspecte le couloir. Taches rouges et noires. Il n'y a personne. Bizarre.

Ce devait etre une erreur. Mais le bruit de pas resonne a nouveau derriere lui. Scritch…tssss, scritch… tssss. C'est quelqu'un qui doit boiter de deux pattes sur six, et qui se rapproche.

Pour s'assurer du phenomene, il bifurque a chaque carrefour, puis il marque un temps d'arret. Le bruit s'interrompt. Des qu'il repart: Scritch… tss, scritch… tss, scritch… tss, le bruit reprend. Pas de doute: on le suit. Quelqu'un qui se cache quand il se retourne. Etrange comportement, parfaitement inedit. Pourquoi une cellule de la Meute en suivrait-elle une autre sans se faire connaitre? Ici chacun est avec tout le monde et n'a rien a dissimuler a personne. La «presence» n'en persiste pas moins. Toujours a distance, toujours cachee. Scritch… tss, scritch… tss. Comment reagir? Quand il etait encore larve, les nourrices lui avaient appris qu'il faut toujours faire front au danger. Il stoppe et fait semblant de se laver. La presence n'est plus tres loin. Il la sent presque. Tout en mimant les gestes du nettoyage, il remue ses antennes. Ca y est, il percoit les molecules odorantes du suiveur, C'est une petite guerriere d'un an. Elle degage un parfum singulier, qui recouvre ses identifications courantes. Pas facile a definir. On dirait une odeur de roche.

La petite guerriere ne se cache plus.

Scritch… tssss… scritch… tssss… Il la voit maintenant en infrarouge. Elle a en effet deux pattes en moins. Son odeur de roche se fait plus forte.

Il emet.

Qui est la.?

Pas de reponse.

Pourquoi me suivez-vous?

Pas de reponse.

Voulant oublier l'incident, il reprend sa route, mais bientot il detecte une seconde presence qui arrive en face. Une grosse guerriere cette fois. La galerie est etroite, il ne passera pas.

Faire demi-tour? Ce serait affronter la boiteuse, qui se hate d'ailleurs vers lui.

Il est coince.

Maintenant il le sent: ce sont deux guerrieres. Et elles portent toutes les deux ce parfom de roche. La grosse ouvre ses longues cisailles.

C'est un piege!

Il est impensable qu'une fourmi de la cite veuille en tuer une autre. Serait-ce un detraquement du systeme immunitaire?

N'ont-elles pas reconnu ses odeurs d'identification? Le prennent-elles pour un corps etranger? C'est proprement insense, c'est comme si son estomac avait decide d'assassiner son intestin…

Le 327e male augmente la force de ses emissions

Je suis comme vous une cellule de la Meute.

Nous sommes du meme organisme.

Ce sont dejeunes soldates, elles doivent se tromper. Mais ses emissions n'apaisent point ses vis-a-vis. La petite boiteuse lui saute sur le dos et le retient par les ailes, tandis que la grosse lui serre la tete entre ses mandibules.

Elles le trainent, ainsi garrotte, dans la direction du depotoir.

Le 327e male se debat. Avec son segment a dialogue sexuel, il emet toutes sortes d'emotions que ne connaissent meme pas les asexues. Cela va de l'incomprehension a la panique.

Pour ne pas etre salie par ces idees «abstraites», la boiteuse, toujours plaquee sur son mesotonum, lui racle les antennes avec ses mandibules. Elle enleve par ce geste toutes ses pheromones, et notamment ses odeurs passeports. De toute facon, la ou il va elles ne lui serviront plus a grand-chose… Le sinistre trio avance poussivement dans les couloirs les moins frequentes. La petite boiteuse continue methodiquement son travail de nettoyage. On dirait qu'elle ne veut laisser aucune information sur cette tete. Le male ne se debat plus. Resigne, il se prepare a s'eteindre en ralentissant les battements de son c?ur.

Pourquoi tant de violences, pourquoi tant de haine, freres? Pourquoi?

Un, nous ne sommes qu'un, tous ensemble nous mes les enfants de la Terre et de Dieu.

Cessons la nos vaines disputes. Le XXIIe siecle sera spirituel ou ne sera pas.

Abandonnons nos vieilles querelles fondees sur l'orgueil et la duplicite.

L'individualisme, voila notre veritable ennemi! Un frere dans le besoin, et vous le laissez mourir de faim, vous n'etes plus dignes de faire partie de la large communaute du monde. Un etre perdu qui vous reclame aide et assistance, et vous lui fermez la porte.

Vous n'etes pas des notres.

Je vous connais, bonnes consciences calees dans la soie! Vous ne pensez qu'a votre confort personnel, vous ne desirez que des gloires individuelles, le bonheur oui, mais uniquement le votre et celui de votre proche famille.

Je vous connais, vous dis-je. Toi, toi, toi et toi! Cessez de sourire devant vos ecrans, je vous parle de choses graves. Je vous parle de l'avenir de l'humanite. Cela ne pourra plus durer. Ce mode de vie n'a pas de sens. Nous gaspillons tout, nous detruisons tout. Les forets sont laminees pour faire des mouchoirs jetables. Tout est devenu jetable: les couverts, les stylos, les vetements, les appareils photo, les voitures, et sans vous en apercevoir vous devenez vous aussi jetables. Renoncez a cette forme de vie superficielle. Vous devez y renoncer aujourd'hui, avant qu'on ne vous force a y renoncer demain. Venez parmi nous, rejoignez notre armee de fideles. Nous sommes tous les soldats de Dieu, mes freres.»

Image d'une speakerine. «Voila. Cette emission evangelique vous etait proposee par le pere Mac Donald de la nouvelle Eglise adventiste du 45e jour et par la societe de surgeles «Sweetmilk». Elle a ete diffusee par satellite en mondovision. Et maintenant, avant notre serie de science-fiction ' Extraterrestre et fier de l'etre', voici une page de publicite.» Lucie n'arrivait pas comme Nicolas a s'arreter completement de penser en regardant la television. Huit heures deja que Jonathan etait la-dessous et toujours aucune nouvelle!

Sa main s'approcha du telephone. Il avait dit de ne rien faire, mais s'il etait mort, ou s'il etait pris sous des eboulis? Elle n'avait pas encore le courage de descendre. Sa main decrocha. Elle composa le numero de police secours.

— Allo, police?

— Je t'avais demande de ne pas appeler, fit une voix faible et detimbree en provenance de la cuisine.

— Papa! Papa!

Elle raccrocha alors que le combine continuait a emettre des: «Allo, parlez, donnez-nous une adresse.» Clac.

— Mais oui, mais oui, c'est moi, il ne fallait pas s'inquieter. Je vous avais dit de m'attendre tranquillement. Ne pas s'inquieter? Il en avait de bonnes! Non seulement Jonathan tenait dans ses bras la depouille de ce qui avait ete Ouarzazate et qui n'etait plus qu'un tas de viande sanguinolent, mais l'homme lui-meme etait transfigure. Il ne semblait pas effraye ou accable, il etait meme plutot souriant. Non, ce n'etait pas ca, comment dire? On avait

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