prioritaire rusent et se repandent. Lors de la premiere phase, les pheromones excitatrices embrument les galeries superieures. Tous ceux qui hument ce parfum se mettent immediatement a trembler, a courir en tous sens et a produire des pheromones encore plus piquantes. Si bien que l'affolement fait boule de neige. Le nuage d'alerte se repand comme un brouillard glissant dans toutes les veines de la region endolorie, rejoignant les arteres principales. L'objet alien infiltre dans le corps de la Meute produit ce que le jeune male a vainement tente de declencher: des toxines de douleur. Du coup, le sang noir forme par les foules de Belokaniens se met a battre plus vite. La populace evacue les ?ufs proches de la zone sinistree. Les soldates se regroupent en unites de combat. Alors que le 327e male se trouve dans un vaste carrefour a demi obstrue par le sable et la foule, les secousses cessent. Il s'ensuit un silence angoissant. Chacun s'immobilise, apprehendant la suite des evenements. Les antennes dressees fretillent. Attente. Soudain, le toc-toc lancinant de tout a l'heure est remplace par une sorte de feulement sourd. Tous ressentent que la fourrure de branchettes de la Cite vient d'etre perforee. Quelque chose d'immense s'introduit dans le dome, broie les murs, glisse a travers les branchettes. Un fin tentacule rose jaillit au beau milieu du carrefour. Il fouette l'air et rase le sol a une vitesse folle, en quete du plus grand nombre possible de citoyens. Comme les soldates s'elancent sur lui pour tenter de le mordre de leur mandibules, une grosse grappe noire se forme en son bout. Suffisamment garnie, la langue file vers le haut et disparait, deversant la foule dans une gorge, puis pointe a nouveau, toujours plus longue, toujours plus goulue, foudroyante. L'alerte deuxieme phase est alors declenchee. Les ouvrieres tambourinent sur le sol avec l'extremite de leur abdomen pour ameuter les soldates des etages inferieurs, qui n'ont encore rien percu du drame. Toute la Cite resonne des coups de ce tam-tam primaire. On dirait que l'«organisme Cite» halete:

Tac, tac, tac! Toc… toc… toc, repond l'alien qui s'est mis a marteler le dome pour s'enfoncer plus profondement. Chacun se plaque contre les parois pour essayer d'echapper a ce serpent rouge dechaine qui fouaille les galeries. Lorsqu'une lapee est estimee trop pauvre, la langue s'etire encore. Un bec, puis une tete gigantesque suivent. C'est un pic-vert! La terreur du printemps… Ces gourmands oiseaux insectivores creusent dans le toit des cites fourmis des carottes pouvant atteindre soixante centimetres de profondeur et se gavent de leurs populations.

Il n'est que temps de lancer l'alerte troisieme phase. Certaines ouvrieres, devenues pratiquement folles de surexcitation non exprimee en actes, se mettent a danser la danse de la peur. Les mouvements en sont tres saccades: sauts, claquements de mandibules, crachats… D'autres individus, completement hysteriques, tirent dans les couloirs et mordent tout ce qui bouge. Effet pervers de la peur: la Cite n'arrivant pas a detruire l'objet agresseur, finit par s'autodetruire.

Le cataclysme est localise au quinzieme etage superieur ouest, mais l'alerte ayant connu ses trois phases, toute la Cite se trouve maintenant sur le pied de guerre. Les ouvrieres descendent au plus profond des sous-sols pour mettre les ?ufs a l'abri. Elles croisent des files pressees de soldates, toutes mandibules dressees. La Cite fourmi a appris, au fil d'innombrables generations, a se defendre contre de tels desagrements. Au milieu des mouvements desordonnes, les fourmis de la caste des artilleuses se forment en commandos et se repartissent les operations prioritaires.

Elles encerclent le pic vert dans sa zone la plus vulnerable: son cou. Puis elles se retournent, en position de tir rapproche. Leurs abdomens pointent le volatile. Feu! Elles propulsent de toute la force de leurs sphincters des jets d'acide formique hyperconcentre.

L'oiseau a la brusque et penible impression qu'on lui enserre le cou dans un cache-nez d'epingles. Il se debat, veut se degager. Mais il est alle trop loin. Ses ailes sont emprisonnees dans la terre et les brindilles du dome. Il lance a nouveau la langue pour tuer le maximum de ses minuscules adversaires.

Une nouvelle vague de soldates prend le relais. Feu! Le pic vert a un soubresaut. Cette fois, ce ne sont plus des epingles mais des epines. Il cogne nerveusement du bec. Feu! L'acide gicle derechef. L'oiseau tremble, commence a avoir des difficultes a respirer. Feu! L'acide lui ronge les nerfs et il est completement coince. Les tirs cessent. Des soldates a larges mandibules accourent de partout, mordent dans les plaies faites par l'acide formique. Par ailleurs, une legion se rend a l'exterieur, sur ce qui reste du dome, repere la queue de l'animal et se met a forer la partie la plus odorante: l'anus. Ces soldates du genie ont tot fait d'en elargir l'issue et s'engouffrent dans les tripes de l'oiseau. La premiere equipe est parvenue a crever la peau de la gorge. Lorsque le premier sang rouge se met a couler, les emissions de pheromones d'alerte cessent. La partie est consideree comme gagnee. La gorge est largement ouverte, on s'y rue par bataillons entiers. Il y a encore des fourmis vivantes dans le larynx de l'animal. On les sauve. Puis des soldates penetrent a l'interieur de la tete, cherchant les orifices qui leur permettront d'atteindre le cerveau. Une ouvriere trouve un passage: la carotide. Encore faut-il reperer la bonne: celle qui va du c?ur au cerveau, et non l'inverse. La voila! Quatre soldates descendent le conduit et se jettent dans le liquide rouge. Portees par le courant cardiaque, elles sont bientot propulsees jusqu'au beau milieu des hemispheres cerebraux. Elles y sont a pied d'?uvre pour piocher la matiere grise. Le pic vert, fou de douleur, se roule de droite a gauche, mais il n'a aucun moyen de contrer tous ces envahisseurs qui le decoupent de l'interieur. Un peloton de fourmis s'introduit dans les poumons et y deverse de acide. L'oiseau tousse atrocement.

D'autres, tout un corps d'armee, s'enfoncent dans l'?sophage pour realiser la jonction dans le systeme digestif avec leurs collegues en provenance de l'anus. Lesquelles remontent rapidement le gros colon, saccageant en chemin tous les organes vitaux qui passent a portee de mandibules. Elles fouissent la viande vive comme elles ont l'habitude de fouiller la terre, prennent d'assaut, l'un apres l'autre, gesier, foie, c?ur, rate et pancreas, comme autant de places fortes. Il arrive que gicle intempestivement du sang ou de la lymphe, noyant quelques individus. Cela n'arrive toutefois qu'aux maladroites qui ignorent ou et comment decoupe proprement.

Les autres progressent methodiquement au milieu des chairs rouges et noires. Elles savent se degager avant d'etre ecrasees par un spasme. Elles evitent de toucher aux zones gorgees de bile ou d'acides digestifs. Les deux armees se rejoignent finalement au niveau des reins. Le volatile n'est toujours pas mort. Son c?ur, zebre de coups de mandibules, continue a envoyer du sang dans sa tuyauterie crevee. Sans attendre le dernier souffle de leur victime des chaines d'ouvrieres se sont formees, qui se passent de pattes en pattes les morceaux de viande encore palpitants. Rien ne resiste aux petites chirurgiennes. Lorsqu'elles commencent a debiter les quartiers de cervelle, le pic vert a une convulsion, la derniere. Toute la ville accourt pour equarrir le monstre. Les couloirs grouillent de fourmis serrant, qui sa plume, qui son duvet souvenir.

Les equipes de maconnes sont deja entrees en action. Elles vont reconstruire le dome et les tunnels endommages.

De loin, on pourrait croire que la fourmiliere est en train de manger un oiseau. Apres l'avoir englouti., elle le digere, distribuant ses chairs et ses graisses, ses plumes et son cuir en tous points ou ils seront le plus utiles a la Cite.

GENESE: Comment s'est construite lacivilisation fourmi? Pour le comprendre, il faut remonter plusieurs centaines demillions d'annees en arriere, au moment oula vie a commence a se developper sur laTerre.

Parmi les premiers debarquants, il y eut lesinsectes.

Ils semblaient mal adaptes a leur monde.

Petits, fragiles, ils etaient les victimesideales de tous les predateurs. Pour arrivera se maintenir en vie, certains, tels lescriquets, choisirent la voie de lareproduction. Ils pondaient tellement de petits qu'il devait forcement rester dessurvivants.

D'autres, comme les guepes ou les abeilles,choisirent le venin, se dotant au fil des generations de dards empoisonnes qui lesrendaient redoutables.

D'autres, comme les blattes, choisirent dedevenir incomestibles. Uneglande speciale donnait un si mauvais gouta leur chair que nul nevoulait la deguster.

D'autres, comme les mantes religieuses oules papillons de nuit, choisirent le camouflage. Semblables aux herbes ou auxecorces, ils passaient inapercus dans la nature inhospitaliere. Cependant, dans cette jungle des premiers jours, bien des insectesn'avaient pas trouve de «truc» poursurvivre et paraissaient condamnes adisparaitre.

Parmi ces «defavorises», il y eut tout d'abord les termites. Apparue il y apres de cent cinquante millions d'annees sur la croute terrestre, cette espece brouteuse de bois n'avait aucune chance de perennite. Trop depredateurs, pas assez d'atouts naturels pour leur resister… Qu'allai-t-il advenir des termites? Beaucoup perirent, et les survivants etaient a ce point accules qu'ils surent degager a temps une solution originale: «Ne plus combattre seul, creer des groupes de solidarite. Il sera plus difficile a nos predateurs de s'attaquer a vingt

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