piste, communication… juste en melangeant judicieusement des seves, des pollens et des salives.

Une fois leur camouflage distille, elles arrivent a s'introduire par exemple dans les cites termites sans etre reperees. Elles pillent et tuent alors, sans qu'aucune de leurs victimes ait pu les identifier!

Non, nous ne sommes pas des fourmis masquees.

La reine termite leur demande s'il y a des survivants dans sa cite, et les fourmis repondent que non. Elle emet le v?u d'etre tuee, qu'on abrege ses souffrances.

Mais auparavant, elle desire reveler quelque chose.

Oui, elle sait pourquoi sa cite a ete detruite.

Les termites ont decouvert depuis peu le bout oriental du monde. La fin de la planete. C'est un pays noir, lisse, ou tout est detruit. La-bas vivent des animaux etranges, tres rapides et tres feroces. Ce sont eux les gardiens du bout du monde. Ils sont armes de plaques noires qui ecrabouillent n'importe quoi. Et maintenant ils utilisent aussi des gaz empoisonnes!

Voila qui rappelle la vieille ambition de la reine Bi-stin-ga. Atteindre l'un des bouts du monde. Cela serait donc possible? Les deux fourmis en demeurent stupefaites. Elles avaient cru jusqu'alors que la Terre est si vaste qu'il est impossible d'en atteindre le bord. Or cette reine termite laisse entendre que le bout du monde est proche! Et qu'il est garde par des monstres… Le reve de la reine Bi-stin-ga serait-il realisable? Toute cette histoire leur parait tellement enorme qu'elles ne savent par quelle question commencer.

Mais pourquoi ces gardiens du bout du monde sont-ils avances jusqu'ici? Veulent-ils envahir les cites de l'Ouest? La grosse reine n'en sait pas plus. Elle veut a present mourir. Elle insiste. Elle n'a pas appris a arreter son c?ur. Il faut la tuer. Les fourmis decapitent donc la reine termite, apres que celle-ci leur a indique le chemin de la sortie. Puis elles mangent quelques petits ?ufs et quittent l'imposante cite qui n'est plus qu'une ville fantome. Elles deposent a l'entree une pheromone qui porte le recit du drame de ce lieu. Car en tant qu'exploratrices de la Federation, elles ne doivent manquer a aucun de leurs devoirs. La luciole les salue. Elle aussi sans doute s'etait egaree dans la termitiere en se protegeant de la pluie. Maintenant qu'il refait beau, elle va reprendre son traintrain habituel: manger, emettre de la lumiere pour attirer les femelles, se reproduire, manger, emettre de la lumiere pour attirer les femelles, se reproduire… Une vie de luciole, quoi!

Elles portent leur regard et leurs antennes en direction de l'est. D'ici, elles ne percoivent pas grand-chose; il n'empeche qu'elles savent: le bout du monde n'est pas loin. Il est par la.

CHOC DE CIVILISATIONS: Le contact entre deux civilisations est toujours un instant delicat. Parmi les grandes remises en question qu 'ont connues les etres humains, on peut noter le cas des Noirs africains enleves comme esclaves au XVIIIe siecle.

La plupart des populations servant d'esclaves vivaient a l'interieur des terres dans les plaines et les forets. Ils n'avaient jamais vu la mer. Tout d'un coup un roi voisin venait leur faire la guerre sans raison apparente, puis au lieu de tous les tuer, ils les prenaient comme captifs, lesenchainaient et les faisaient marcher en direction de la cote.

Au bout de ce periple ils decouvraient deux choses incomprehensibles: 1) la mer immense, 2) les Europeens a la peau blanche. Or la mer, meme s'ils ne l'avaient pas directement vue, etait connue par l'entremise des contes comme le pays des morts. Quant aux Blancs, c'etaient pour eux comme des extraterrestres, ils avaient une odeur bizarre, ils avaient une peau d'une couleur bizarre, ils avaient des vetements bizarres.

Beaucoup mouraient de peur, d'autres, affoles, sautaient des bateaux et se faisaient devorer par les requins. Les survivants allaient, eux, de surprise en surprise. Ils voyaient quoi? Par exemple les Blancs qui buvaient du vin. Et ils etaient surs que c'etait du sang, le sang des leurs.

Edmond Wells

Encyclop edie du savoir relatif et absolu.

La 56e femelle est affamee. Ce n'est pas seulement un corps, mais toute une population qui reclame sa ration de calories. Comment nourrir la meute qu'elle abrite en son sein? Elle finit par se resoudre a sortir de son trou de ponte, se traine sur quelques centaines de tetes et ramene trois aiguilles de pin qu'elle leche et machouille avec avidite.

Ce n'est pas suffisant. Elle aurait bien chasse, mais n'en a plus la force. Et c'est elle qui risque de servir de pature aux milliers de predateurs tapis aux alentours. Alors elle se tasse dans son trou pour attendre la mort. Au lieu de cela, c'est un ?uf qui apparait. Son premier Chlipoukanien! Elle l'a a peine senti venir. Elle a secoue ses pattes engourdies et a presse de toute sa volonte sur ses boyaux. Il faut que ca marche, sinon tout est fini. L'?uf roule. Il est petit, presque noir a force d'etre gris.

Si elle le laisse eclore, il donnera naissance a une fourmi mort-nee. Et encore… elle ne pourrait meme pas le nourrir jusqu'a eclosion. Alors elle mange son premier rejeton.

Cela lui donne aussitot un surplus d'energie.

Il y a un ?uf en moins dans son abdomen et un ?uf en plus dans son estomac. Elle trouve dans ce sacrifice la force de pondre un second ?uf, tout aussi sombre, tout aussi petit que le premier.

Elle le deguste. Et se sent encore mieux. Le troisieme ?uf est a peine plus clair. Elle le devore quand meme.

Ce n'est qu'au dixieme que la reine change de strategie. Ses ?ufs sont devenus gris, de la taille de ses globes oculaires. Chli-pou-ni en pond trois comme ca, en mange un et laisse vivre les deux autres, les rechauffant sous son corps.

Tandis qu'elle continue de pondre, ces deux veinards se metamorphosent en longues larves dont les tetes restent figees en une etrange grimace. Et ils commencent a geindre pour reclamer a manger. L'arithmetique se complique. Sur trois ?ufs pondus, il en faut maintenant un pour elle, et les deux autres pour nourrir les larves. Voila comment, en circuit ferme, on arrive a produire quelque chose a partir de rien. Lorsqu'une larve est assez grosse, elle lui donne a manger une autre larve… C'est le seul moyen de lui fournir les proteines necessaires a sa transformation en veritable fourmi.

Mais la larve survivante est toujours affamee. Elle se contorsionne, hurle. Le festin de ses s?urs n'arrive pas a l'assouvir. Finalement, Chli-pou-ni mange cette premiere tentative d'enfant. Il faut que j'y arrive, il faut que j'y arrive, se repete-t-elle. Elle pense au 327e male et pond d'un coup cinq ?ufs beaucoup plus clairs. Elle en ingurgite deux, et laisse grandir les trois autres. Ainsi, d'infanticide en enfantement, la vie se passe le relais. Trois pas en avant, deux pas en arriere. Cruelle gymnastique qui finit par deboucher sur un premier prototype de fourmi complete.

L'insecte est tout petit et plutot debile, car sous-alimente. Mais elle a reussi son premier Chlipoukanien! La course cannibale pour l'existence de sa cite est desormais a moitie gagnee. Cette ouvriere degeneree peut en effet se mouvoir et ramener des vivres du monde alentour: cadavres d'insectes, graines, feuilles, champignons… Ce qu'elle fait.

Chli-pou-ni, enfin nourrie normalement, donne naissance a des ?ufs bien plus clairs, bien plus fermes. Les coquilles solides protegent les ?ufs du froid. Les larves sont de taille raisonnable. Les enfants eclos de cette nouvelle generation sont grands et costauds. Ils vont former la base de la population de Chli-pou-kan. Quant a la premiere ouvriere taree qui a permis d'alimenter la pondeuse, elle est bien vite mise a mort et devoree par ses s?urs. Apres quoi, tous les meurtres, toutes les douleurs qui ont prelude a la creation de la Cite sont oubliees. Chli-pou-kan vient de naitre.

MOUSTIQUE: Le moustique est l'insecte qui duellise le plus volontiers avec l'humain. Chacun d'entre nous s'est retrouve un jour, en pyjama debout sur le lit, la pantoufle a la main, l'?il guettant le plafond immacule. Incomprehension. Pourtant ce qui gratte ce n'est que la salive desinfectante de sa trompe. Sans cette salive chaque piqure pourrait s'infecter. Et encore le moustique prend toujours la precaution de ne piquer qu'entre deux points de reception de la douleur!

Face a l'homme, la strategie du moustique a evolue. Il a appris a devenir plus rapide, plus discret, plus vif au decollage. Il devient deplus en plus difficile a reperer. Certains audacieux de la derniere generation n'hesitent pas a se cacher sous l'oreiller de leur victime. Ils ont decouvert le principe de la «Lettre volee» d'Edgar Allait Poe: la meilleure cachette est celle qui creve les yeux, car on pense toujours a aller chercher plus loin ce qui se trouve tout pres.

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