Je m'applique. Avec mes Loups, nous ravageons la contree. Nous prenons d'assaut des positions ennemies avec un taux de pertes tres acceptable. Un jour, le colonel Dukouskoff vient nous retrouver sur le front. Le colonel a l'air ravi. Il me prend par les deux epaules et me declare de but en blanc:
— J'ai une tres bonne nouvelle.
Je me dis que ce doit etre les nouvelles kalachnikovs. Depuis le temps qu'on nous a promis de rempla cer notre vieux materiel, je ne vois que ca comme bonne nouvelle. Je sais deja qui sont les gars auxquels je confierai la nouvelle arme pour la tester.
— La guerre est finie.
Je cesse de respirer. Il repete.
— C'est la paix.
J'articule avec difficulte:
— La… paix…
Ainsi donc les corrompus du Kremlin, sous l'emprise des capitalistes mafieux americains, ont decide de signer un traite avec des representants des troupes tchetchenes. C'est la pire chose que je pouvais entendre. Je voudrais que cet instant n'ait jamais existe. La paix. LA PAIX?!! Alors qu'on etait sur le point de vaincre?! Je n'ose demander pourquoi ils ont baisse les bras. Je n'ose signaler que peut-etre, a cette seconde, mes Loups ont pris d'assaut un point strategique. Je n'ose evoquer les atrocites que j'ai vu commettre par les Tchetchenes, les enfants qu'ils utilisaient comme boucliers vivants, les tortures subies par mes hommes captures. Et c'est avec eux qu'on va faire la paix? Je demande avec encore un peu d'espoir:
— C'est… c'est une plaisanterie?
Il est etonne.
— Non. C'est officiel. Ca a ete signe hier.
J'ai comme une defaillance.
Dukouskoff doit croire que c'est l'emotion due au bonheur. Il me soutient le bras. Est-il possible que les gens se fourvoient a ce point? Qu'ils ne se rendent pas compte? On etait sur le point de gagner cette guerre! On allait tout gagner! Et… on negocie. Negocier quoi? Le droit de tout perdre!
Que va-t-il advenir de moi maintenant?
J'abandonne ma foret, ma horde, mon grand air. Je rends mon uniforme, mes armes, mes bottes. Je rentre avec un convoi a Moscou et me replonge dans l'univers des villes aux lignes geometriques.
Gengis Khan, parait-il, abhorrait les villes. Il disait que le seul fait de serrer des humains sur un petit territoire ceinture de murs entrainait le pourrissement des esprits, l'encombrement des ordures, la proliferation des maladies et une mentalite mesquine. Gengis Khan a detruit le plus de villes qu'il a pu, mais les citadins ont eu le dernier mot.
Je retourne a la vie civile. Il me faut trouver un logement et je ne sais pas remplir les papiers. Je hais la paperasserie… Je loue un appartement minuscule, laid, bruyant et cher, avec une flopee de voisins qui me regardent de travers. J'ai la nostalgie des bivouacs en plein air. Ou sont mes arbres? Ou sont mes Loups? Ou est mon air pur?
Je me sens engonce dans des vetements civils, peu gracieux et peu pratiques. Pantalon, polo et pull. Ca manque de poches et les etoffes sont trop molles pour que j y accroche mes medailles.
J'ai du mal a me reinserer dans la societe civile. A la guerre, il suffisait de se battre pour obtenir ce qu'on voulait. Ici une seule regle prevaut: l'argent. Il faut payer, toujours payer.
Je croyais que mes etats de service m'aideraient, mais c'est le contraire. Les planques se mefient des anciens combattants. Je passe et repasse sur mon magnetoscope les films de Stallone et de Schwarzenegger et je bois de la vodka jusqu'a sombrer dans le sommeil. Vivement que nous declarions la guerre a l'Occident. Je suis plus que pret.
Un facteur sonne a ma porte. Il m'apporte ma premiere solde de «retraite». J'ouvre l'enveloppe et compte les billets. Ma solde de «sauveur de la nation» equivaut a la moitie du salaire mensuel d'un vendeur de sandwiches!
J'ai droit a mieux. Je veux davantage d'argent. Je veux un grand appartement. Je veux une datcha a la campagne comme les hauts fonctionnaires. Je veux une grosse limousine. J'ai assez souffert, maintenant je veux etre riche.
He, la-haut! mon ange gardien, si tu m'entends: JE VEUX ETRE RICHE.
140. LES PRIERES
Je me frotte les yeux. Le spectacle de la vie de mes clients m'epuise. Leur envoyer des reves qu'ils ne comprennent pas m'enerve. Leur envoyer des signes qu'ils ne voient pas m'agace. Leur envoyer des intuitions qu'ils n'entendent pas m'exaspere. J'en ai marre. Je veux bien etre un bon eleve, mais il faut quand meme un minimum de resultats pour avoir envie de continuer. Je vais chercher Edmond Wells.
— Je sais que le premier devoir des anges est d'exaucer les v?ux de leurs clients mais ceux des miens sont vraiment difficiles a combler, dis-je a mon mentor. Jacques ne reve que de trouver un editeur pour ses divagations sur les rats.
— Donne-lui ce qu'il veut.
— Igor. Il veut etre riche. Je le fais gagner au loto?
— Ce ne serait pas l'aider que de le faire gagner au loto. Il deviendrait encore plus malheureux. Il ne serait plus entoure que de gens interesses par sa nouvelle fortune. Il ne suffit pas de vouloir etre riche, il faut etre capable d'assumer sa richesse. Il n'est pas pret. Rends-le riche mais de maniere plus progressive qu'au loto. Client suivant.
— Venus souhaite que sa rivale, l'autre mannequin noir a la mode plus jeune qu'elle, soit… defiguree!
— Exauce son souhait, dit froidement mon mentor.
Il me semble avoir mal entendu.
— Mais je croyais qu'on etait la pour ne faire que du bien aux humains?
— Tu dois au premier chef t'occuper de satisfaire tes clients. S'ils veulent commettre des sottises, c'est leur libre arbitre. Respecte-le.
Edmond Wells m'entraine voleter un peu au-dessus du Paradis.
— Je comprends ton trouble, Michael. La tache d'un ange n'est pas facile. Les hommes emettent des souhaits derisoires et mediocres. J'ai parfois l'impression qu'ils ont peur d'etre heureux. Tout leur probleme se resume a une unique phrase: «Ils ne veulent pas construire leur bonheur, ils veulent seulement reduire leur malheur.»
Je me repete ca pour bien en saisir la portee. «Ils ne veulent pas construire leur bonheur, ils veulent seulement reduire leur malheur…»
Edmond Wells poursuit son requisitoire:
— Tout ce qu'ils veulent, c'est que leurs caries les fassent moins souffrir, que les enfants jadis desires ces sent de hurler quand ils regardent la tele et que la belle-mere arrete de venir gacher leur dejeuner du dimanche. Si seulement ils avaient une idee de ce que nous sommes capables de leur apporter! En ce qui concerne la pauvre Cynthia Cornwell, la rivale de Venus, il faudra que tu negocies son «accident» avec son ange gardien, mais ca ne devrait pas poser de probleme car sa cliente gagnera des points en tant que martyre. Un dernier ecueil sur lequel je veux attirer ton attention, Michael. Je ne sais pas si tu l'as senti mais… les leviers de tes clients ont change. Igor etait attentif aux signes, il l'est dorenavant aux intuitions. Venus tenait compte de ses reves, elle commence a s'interesser aux mediums. Quant a Jacques, jadis influence principale ment par son chat, il sera desormais sensible au souvenir de ses reves.
141. JACQUES. 22 ANS
J'ai fait un cauchemar. Il y avait un loup qui pleurait. Et puis il y avait une fille qui se transformait en