montgolfiere. Et puis la fille-montgolfiere quittait le sol et montait, montait. Le loup la regardait monter et se mettait a hurler d'une maniere tres triste. Il y avait un oiseau qui n'avait pas d'ailes qui se mettait a taper du bec contre la paroi de la fille-montgolfiere pour la faire redescendre, mais la paroi etait trop dure et l'oiseau sans ailes se tournait vers moi et me demandait quelque chose. Il disait: «Parler de la mort.» «Parler de la mort.»

Le loup hurlait. L'oiseau donnait des coups de patte dans la fille. Et moi, je me reveillai et m'apercus que Gwendoline me bourrait une fois de plus de coups de pied.

Elle aussi revait. Elle disait: «Il faut que cela cesse», puis semblant repondre a quelqu'un qui lui parlait: «Non, pas moi, pas ca», ou bien: «Ca ne va pas se passer comme ca, croyez-moi», et elle me lancait encore ses petits pieds comme si elle combattait.

Soudain, je recois des coups de patte. C'est Mona Lisa II. Elle aussi bouge en dormant. Yeux clos, elle fronce les sourcils, tend ses pattes, griffes sorties, et donne des petits coups secs. Mais s'il m'apparait normal que des humains soient angoisses, il me semble soudain terrible que mon chat fasse, lui aussi, des cauchemars.

Chez le veterinaire, la salle d'attente est bondee. Mon voisin est encombre d'un chat aussi obese que le mien.

— De quoi souffre-t-il?

— Myopie. Me.dor se colle de plus en plus pres contre l'ecran de mon televiseur.

— Il se nomme Medor, votre chat?

— Oui, parce qu'il se comporte comme un chien soumis. Aucune independance. Il accourt quand on l'appelle… Enfin, il devient myope et il faut peut-etre lui mettre des lunettes.

— C'est sans doute une mutation generale de l'espece animale… Le mien aussi regarde la tele de plus en plus pres.

— Enfin, si ce veterinaire generaliste ne parvient pas a trouver une solution, j'irai consulter un veterinaire oculiste et s'il ne trouve pas non plus, j'irai voir un veterinaire psychanalyste.

Ensemble nous rions.

— Et votre chat, qu'a-t-il?

— Mona Lisa II fait des cauchemars. Elle est tout le temps nerveuse.

— Meme si je ne suis pas veterinaire, dit l'homme, je peux quand meme vous donner un conseil. Le chat est souvent la catharsis de son maitre. Ce chat vit vos souffrances. Calmez-vous et votre chat se calmera. Vous m'avez tout l'air d'une boule de nerfs. Et puis, si vous n'y arrivez pas, faites des enfants. Cela amusera le chat.

Nous patientons. Il y a encore une dizaine de clients devant nous, ce qui nous laisse tout le temps de converser. Il se presente:

— Rene.

— Jacques.

Il m'interroge sur mon metier. Serveur de restaurant, dis-je. Lui est editeur. Je n'ose lui parler de mon manuscrit.

– Ca n'avance pas vite, remarque-t-il. Vous savez jouer aux echecs? J'ai un echiquier de voyage dans ma serviette.

— D'accord, jouons.

Je m'apercois vite que je n'aurai pas de mal a le battre, mais un conseil de Martine me revient a l'esprit. Une veritable victoire ne doit jamais etre par trop ecla tante, elle doit toujours etre acquise de «justesse». Je ralentis donc mon ardeur combattante et je m'arrange pour que nos camps respectifs se rapprochent. Apres avoir renonce a avoir l'avantage, serai-je capable de renoncer a la victoire? Certaines defaites sont peut-etre interessantes… Je lui laisse prendre le dessus. Il me met mat.

— Je ne suis qu'un joueur du dimanche, se rengorge Rene. A un moment, j'ai bien cru perdre.

Je prends l'air contrarie.

– A un moment, j'ai bien cru gagner.

A present, comme par enchantement, je n'ai plus peur de lui parler de mon manuscrit.

— Je ne suis pas seulement serveur dans un restaurant, j'ecris aussi, a mes heures perdues.

Il me considere avec pitie.

— Je sais. Tout le monde ecrit de nos jours. Un Francais sur trois aurait un manuscrit en gestation. Le votre, vous l'avez envoye a des editeurs et il a ete refuse, c'est cela?

— Partout.

— Normal. Les lecteurs professionnels redigent des fiches pour chaque manuscrit et touchent des sommes derisoires pour ca. Pour en faire une activite rentable, ils en lisent jusqu'a une dizaine par jour. En general, ils s'arretent aux six premieres pages tant les textes sont pour la plupart ennuyeux. Il vous faudrait beaucoup de chance pour tomber sur un lecteur enthousiaste.

Mon interlocuteur m'ouvre des horizons nouveaux.

— J'ignorais que cela se passait ainsi.

— Le plus souvent, ils se fient a la presentation, au titre et au nombre de fautes d'orthographe dans les premieres lignes. Ah, l'orthographe en France! Toutes ces doubles consonnes, vous savez d'ou elles viennent?

— D'etymologies grecques ou latines, il me semble.

— Pas seulement, me revele l'editeur. Au Moyen Age, les moines copistes etaient payes au nombre de caracteres par manuscrits retranscrits. Ils se sont donc entendus entre eux pour doubler les consonnes. C'est la raison pour laquelle «difficile» prend deux «f» et «developper» deux «p». Et on poursuit religieuse ment cette tradition comme s'il s'agissait d'un tresor national et non d'une entourloupette de couvent.

Son tour approche. Il me tend une carte de visite au nom de Rene Charbonnier.

— Envoyez-le-moi donc, votre manuscrit. Je vous promets de le lire au-dela des six premieres pages et de vous dire honnetement ce que j'en pense. Mais ne vous faites pas d'illusions, quand meme.

Le lendemain, je depose mon texte a l'adresse indiquee. Le surlendemain, Rene Charbonnier m'ecrit pour me signaler qu'il accepte de m'editer. Je suis si heureux que j'arrive a peine a y croire. Ainsi donc tous ces efforts seraient enfin recompenses! Ainsi donc tout ca n'aurait pas servi a rien!

J'annonce la bonne nouvelle a Gwendoline. Nous fetons l'evenement au Champagne. Je me sens comme soulage d'un si lourd fardeau. Il me faut revenir sur terre. Reprendre mes habitudes. Je signe le contrat, et essaie d'oublier ma joie pour me concentrer sur les taches a accomplir en vue de defendre au mieux mon travail.

Grace au cheque du contrat, j'offre a Gwen, Mona Lisa et moi-meme ce dont nous revions depuis longtemps: un abonnement au cable. Pour fuir ma febrilite, je m'installe devant la lumiere qui me calme tant. Je capte la chaine americaine d'informations en continu, dont le presentateur vedette est un certain Chris Petters. C'est un nouveau visage qui tout de suite me met en confiance. Comme s'il etait de ma famille.

— Viens, Gwendoline, on va regarder la tele, ca nous videra la tete.

Pas de reponse de la cuisine ou je l'entends preparer la gamelle du chat.

Deja Chris Petters donne les informations du jour. Guerre au Cachemire avec menace atomique. Le nouveau gouvernement pakistanais, issu du dernier putsch militaire, a signale que, n'ayant plus rien a perdre, il avait bien l'intention de venger l'honneur de tous les Pakistanais en ecrasant l'Inde honnie. Nouvelle mode: de plus en plus d'etudiants se font coter en Bourse pour que les actionnaires financent leurs etudes. Ensuite, ils remboursent au prorata de leur reussite. Amazonie, les U'wa, peuple indigene de la foret, ont decide de se suicider si l'on persiste a vouloir pomper du petrole sur leur territoire sacre. Ils ont declare, en effet, que le petrole etait le sang de la terre…

Nouvel assassinat du serial killer au lacet. Il a tue cette fois la celebre actrice top model Sophie Donahue. Il s'y est pris de la maniere suivante…

— Allez, viens regarder la tele, Gwendoline!

Gwendoline arrive en affichant une moue triste. Elle boude.

— M'en fiche.

— Qu'est-ce qui ne va pas? dis-je en l'installant sur mes genoux et en lui caressant les cheveux comme je le fais avec mon chat.

— Toi, tu es edite. Ce n'est pas a moi que ca arriverait.

Вы читаете L'Empire des anges
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату