et l’on pouvait y faire pousser a peu pres n’importe quoi en un rien de temps.

Le salon de la famille Hackworth etait situe a tribord et, alors qu’ils prenaient de la vitesse en sortant de New Chusan, ils purent contempler le crepuscule sur Shanghai et le soleil rougeoyant derriere l’eternel voile de fumee de charbon qui recouvrait la ville. Gwendolyn lut pendant une heure des histoires a Fiona pour l’endormir, tandis que John epluchait l’edition vesperale du Times, avant d’etaler des papiers sur le bureau de leur petite cabine. Plus tard, tous deux enfilerent leurs habits de soiree, s’appretant en silence dans le noir pour ne pas reveiller Fiona. A vingt et une heures, ils sortirent dans la coursive, verrouillerent leur cabine et, guides par le son de l’orchestre, rejoignirent la grande salle de bal de l’?ther ou la soiree venait de commencer. La piste etait une dalle de diamant transflagrante. Sous les lumieres tamisees, on aurait dit qu’ils flottaient au-dessus du Pacifique scintillant sous la lune, tandis qu’ils dansaient la valse, le menuet, la Lindy et la slide electrique au c?ur de la nuit.

A l’aube, les trois aeronefs survolaient la mer de Chine meridionale, loin de toute terre. L’ocean ici etait relativement peu profond, mais seuls Hackworth et quelques autres ingenieurs le savaient. Les Hackworth beneficiaient d’une vue fort correcte depuis la fenetre de leur cabine, mais John se reveilla en avance pour filer en patins jusqu’a la piste en diamant de la salle de bal ; la, apres avoir commande au garcon un express et un numero du Times, il put se detendre en attendant que Gwen et Fiona aient fini de se preparer. Il entendait autour de lui les enfants echanger des speculations sur le deroulement de la journee.

Gwen et Fiona arriverent avec juste assez de retard pour que John ait matiere a se rendre interessant, sortant une bonne douzaine de fois de son gousset sa montre mecanique, avant de se resoudre a la garder au creux de la main pour en manipuler le couvercle avec nervosite. Gwen croisa ses longues jambes, puis, etalant elegamment sa jupe, elle s’assit sur le sol transparent, ce qui lui valut les regards reprobateurs de plusieurs autres femmes restees debout. John nota toutefois avec soulagement qu’il s’agissait en majorite de simples ingenieurs ou d’epouses d’ingenieurs de rang relativement subalterne ; aucun des officiers n’avait eprouve le besoin de monter a la salle de bal.

Fiona se mit a quatre pattes et plaqua litteralement le visage contre la dalle de diamant, le derriere en l’air. Hackworth saisit par le pli ses jambes de pantalon, les remonta imperceptiblement, puis il posa un genou a terre.

Le corail intelligent surgit des profondeurs avec une violence qui le surprit, meme s’il avait participe a sa conception et assiste aux essais. Voir ainsi sous la surface obscure du Pacifique donnait l’impression d’assister a une explosion derriere un carreau fendille. On aurait dit un jet de creme epaisse qu’on verse dans le cafe et qui rebondit au fond de la tasse pour s’epanouir en turbulences fractales qui se figent en atteignant la surface. La vitesse du processus etait un tour de passe-passe soigneusement planifie : le corail intelligent s’etait en realite developpe ces trois derniers mois au fond de l’ocean, tirant son energie d’un superconvertisseur cultive pour l’occasion sous le plancher oceanique ; celui-ci extrayait les atomes necessaires directement de l’eau de mer et des gaz dissous. Le processus qui se deroulait la-dessous semblait chaotique et, en un certain sens, il l’etait ; mais chaque lithocule connaissait avec precision l’endroit ou se rendre et la tache a accomplir. Il s’agissait de briques tetraedriques de calcium et de carbone, pas plus grosses que des graines de pavot, et dotees chacune d’une source d’energie, d’un cerveau et d’un systeme de navigation. Elles remonterent du fond de la mer a un signal donne par la princesse Charlotte. A son reveil, celle-ci avait trouve un petit cadeau sous son oreiller ; elle l’avait deballe et avait decouvert un sifflet dore monte au bout d’une chaine ; elle s’etait mise au balcon et elle avait souffle dedans.

Le corail convergeait de toutes parts vers le site de l’ile, certains des lithocules devant parcourir plusieurs kilometres pour gagner leur position assignee. Ce faisant, ils deplacaient un volume d’eau equivalant a celui de l’ile elle-meme – plusieurs kilometres cubes en tout. Il en resultait de furieuses turbulences, un gonflement de la surface qui fit hurler plusieurs enfants, redoutant qu’il ne s’eleve jusqu’a eux et ne fasse chuter leur aeronef ; et certes, quelques gouttes vinrent fouetter le ventre adamantin du vaisseau, amenant le pilote a reprendre promptement de l’altitude. La secheresse de la man?uvre declencha les rires bon enfant de tous les peres installes dans la salle de bal, ravis qu’ils etaient devant cette illusion de danger et le spectacle de l’impuissance de la nature.

Le brouillard et l’ecume se dissiperent bientot, revelant une nouvelle ile, couleur saumon dans les lueurs de l’aube. Applaudissements et vivats s’attenuerent en un murmure professionnel. Le babil des enfants etonnees se fit trop fort et trop aigu.

Il y en aurait encore pour deux heures. Hackworth claqua des doigts pour appeler un garcon a qui il commanda des fruits frais, des gaufres belges, du jus de fruit et un supplement de cafe. Autant qu’ils profitent pleinement de la cuisine reputee de l’?ther pendant que l’ile faisait germer chateaux, faunes, centaures et forets enchantees.

La princesse Charlotte fut le premier etre humain a poser le pied sur l’ile enchantee ; elle descendit la passerelle de debarquement de l’Atlantis, suivie de deux de ses petites amies, et toutes trois ressemblaient a de minuscules fleurs sauvages avec leur capeline enrubannee et leur petit panier d’osier pour les souvenirs, meme si bientot des gouvernantes vinrent les en soulager. La princesse se retourna vers l’?ther et le Chinook, amarres deux cents metres plus loin, et elle s’adressa a eux, sans elever la voix, bien que parfaitement entendue de tous : dissimule dans le col de dentelle de son tablier, un nanophone etait relie au systeme amplificateur a reseau de phase cultive dans les couches superieures du sol de l’ile.

« J’aimerais exprimer ma gratitude a Lord Finkle-McGraw et a tous les employes de Machine-Phase Systems Limited pour ce cadeau d’anniversaire reellement magnifique. Et maintenant, enfants d’Atlantis/Shanghai, n’avez-vous pas envie de vous joindre a moi pour cette grande fete ?

Tous les enfants d’Atlantis/Shanghai crierent oui en ch?ur avant de se bousculer sur les rampes de debarquement de l’?ther et du Chinook, qui avaient toutes ete deployees pour l’occasion, dans l’espoir d’eviter ces embouteillages, toujours susceptibles d’entrainer des accidents ou, pis encore, des invectives. Les tout premiers moments, les enfants se contenterent de jaillir des aeronefs, telles les bulles de gaz s’echappant d’une bouteille. Puis ils se mirent a converger vers toutes ces sources d’emerveillement : un centaure qui faisait bien ses huit pieds de haut, et traversait une prairie, son fils et sa fille gambadant dans ses jambes. Des bebes dinosaures. Une caverne s’enfoncant en pente douce au flanc d’une colline, promesse d’enchantement. Une route en lacet gravissant une autre eminence vers les ruines d’un chateau.

Les adultes etaient restes pour la plupart a bord des aeronefs, accordant a leurs enfants quelques minutes de detente, meme si l’on pouvait apercevoir Lord Finkle-McGraw qui se dirigeait vers l’Atlantis en retournant la terre, l’air curieux, de la pointe de sa canne, histoire de s’assurer qu’elle etait digne d’etre foulee par des pieds royaux.

Un couple descendit la passerelle de l’Atlantis : vetue d’une robe a fleurs qui explorait la frontiere labile entre decence et confort estival, accompagnee d’une ombrelle assortie, la reine Victoria II d’Atlantis ; portant un complet de lin beige, son epoux, le prince consort, dont le prenom, detail lamentable, etait Joe. Joe, ou Joseph comme on l’appelait dans les circonstances officielles, mit le premier pied a terre, d’une demarche un rien pompeuse, style « un petit pas pour l’homme », avant de se retourner pour tendre la main a sa royale epouse, qui l’accepta avec grace mais indifference, comme si elle voulait rappeler a tout un chacun qu’elle avait fait ses classes a Oxford, et que, pour evacuer la tension durant ses humanites a Stanford, elle avait pratique la natation de competition, le patin a roulettes et le jeet kune do. Lord Finkle-McGraw s’inclina quand les royales espadrilles toucherent le sol. La reine tendit la main, qu’il baisa, ce qui etait piquant mais permis quand vous etiez un personnage age et chic, comme l’etait Alexander Chung-Sik Finkle McGraw.

« Nous renouvelons nos remerciements a Lord Finkle McGraw, l’Imperial Tectonics Limited, et la Machine- Phase-Systems Limited pour cette admirable occasion. Et maintenant, profitons tous de ces superbes paysages avant que, comme la premiere Atlantis, ils ne s’abiment a jamais dans les flots. »

Les parents d’Atlantis/Shanghai descendirent a leur tour, meme si beaucoup s’etaient replies vers leur cabine pour se changer sitot qu’ils avaient entrevu ce que portaient la reine et le prince consort. La grande nouvelle, deja transmise au Times par les chroniqueurs de mode surveillant la

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