ceremonie a la longue-vue depuis l’?ther, etait que l’ombrelle etait de retour.

Gwendolyn Hackworth n’en avait pas pris une dans ses bagages, mais cela ne la troubla pas outre mesure ; elle avait toujours possede une alamodalite naturelle, innee. Elle et John descendirent a grands pas vers l’ile. Hackworth avait a peine eu le temps de s’accoutumer a la lumiere du jour qu’il s’etait deja accroupi pour saisir entre ses doigts une pincee de terre. Gwen le laissa a ses obsessions pour se joindre a un groupe d’autres femmes, epouses d’ingenieurs pour la plupart, et au nombre desquelles on comptait meme une ou deux baronnes actionnaires.

Hackworth decouvrit un sentier cache qui serpentait entre les arbres a flanc de colline et debouchait sur une clairiere entourant un bassin d’eau fraiche et limpide ; de l’eau douce – il y gouta quand meme, pour verifier. Il resta la quelques instants, embrassant du regard l’ensemble de l’ile enchantee, tout en se demandant ce que pouvait bien faire sa fille en ce moment. Ce qui l’amena a revasser : peut-etre avait-elle, par quelque miracle, rencontre la princesse Charlotte, et, s’etant liees d’amitie, exploraient-elles ensemble quelque prodige. Cela le conduisit vers une longue reverie qui s’interrompit lorsqu’il prit conscience qu’une voix etait en train de lui declamer un poeme.

Ou en serions-nous, tous deux, ami bien-aime ? Si dans la saison des choix sans peril, Au lieu d’errer, comme nous le fimes, par les vallons riches de produits indigenes, les plaines Fantasques, et les gais paturages disposes a loisir, Nous avions ete files, epies d’heure en heure, et pris au collet, A chacune de nos deambulations melancoliques, Puis, ligotes telle la genisse entravee d’un pauvre paysan, Conduits, par les chemins, vers une triste servitude.

Hackworth se retourna et decouvrit qu’un vieillard partageait sa contemplation. Type asiatique, accent nord-americain nasillard, l’homme semblait avoir au moins soixante-dix ans. Sa peau translucide etait encore tendue sur les larges pommettes, mais les paupieres, les oreilles et le creux des joues etaient fripes et rides. Et pas la moindre meche de cheveux ne depassait de sous le casque colonial ; l’homme etait completement chauve. Hackworth mit du temps a rassembler ces indices, avant d’identifier son compagnon.

« On dirait du Wordsworth », nota Hackworth.

L’homme contemplait les prairies en contrebas. Il inclina la tete et, pour la premiere fois, regarda directement son voisin.

« Et a en juger par le theme, je pencherais pour le Prelude.

— Bien vu, commenta l’homme.

— John Percival Hackworth, pour vous servir. » Il fit un pas vers l’autre et lui tendit sa carte.

« Enchante. » Il n’usa pas sa salive a se presenter.

Lord Alexander Chung-Sik Finkle-McGraw etait l’un des Lords actionnaires ayant rang de duc issus d’Apthorp. Apthorp n’etait pas une banale organisation officielle inscrite a l’annuaire telephonique ; dans le jargon de la finance, le nom faisait reference a l’alliance strategique de plusieurs compagnies gigantesques, parmi lesquelles Machine-Phase Systems Limited et Imperial Tectonics Limited. Quand ils etaient a l’abri des oreilles indiscretes, ses employes le surnommaient John Zaibatsu, tout comme ses ancetres d’un siecle precedent avaient rebaptise John Company la fameuse Compagnie des Indes orientales.

La MPS fabriquait des biens de consommation et l’ITL se consacrait a l’immobilier qui restait, comme toujours, ce qui rapportait vraiment. Comptes en hectares, les chiffres n’avaient rien d’excessif – en fait juste quelques iles situees en des points strategiques, des comtes plus que des continents –, mais c’etaient les terrains les plus chers de la planete a l’exception de quelques sites benis comme Tokyo, San Francisco et Manhattan. La raison en etait que l’Imperial Tectonics avait des geotects et que les geotects pouvaient faire en sorte que toute parcelle nouvelle heritat des charmes de Frisco, de la situation strategique de Manhattan, du feng- shui de Hongkong, du Lebensraum monotone mais incontournable de Los Angeles. Plus besoin desormais d’expedier des pequenots crasseux en bonnet de raton laveur pour arpenter les terres vierges, tuer les aborigenes et defricher la jungle ; il vous suffisait d’avoir sous la main un geotect jeune et fringant, un compilateur de matiere et une Source de taille consequente.

Comme la majorite des neo-Victoriens, Hackworth pouvait citer de memoire la biographie de Finkle- McGraw. Ne en Coree, le futur duc avait ete adopte, a l’age de six mois, par un couple qui s’etait rencontre au lycee a Iowa City avant de lancer une ferme organique, a la frontiere entre Iowa et Dakota du Sud.

Il etait adolescent quand un avion de ligne fit un improbable atterrissage d’urgence a l’aeroport de Sioux City ; le jeune scout Finkle-McGraw avait ete, comme plusieurs de ses camarades, mobilise en hate par le chef de sa patrouille et il s’etait retrouve au bord de la piste, en compagnie de tous les secouristes, pompiers, infirmieres et medecins de tous les comtes alentour. L’efficacite peu commune avec laquelle la region avait reagi a la catastrophe avait fait les gros titres de la presse ; elle avait meme donne matiere a un telefilm. Finkle-McGraw n’arrivait pas a se l’expliquer. Ils avaient simplement fait ce qui etait humain et raisonnable en pareilles circonstances ; pourquoi le reste du pays avait-il tant de mal a le comprendre ?

Cette difficulte a apprehender la culture americaine tenait peut-etre au fait que ses parents l’avaient eduque a domicile jusqu’a l’age de quatorze ans. Une journee d’ecole typique de Finkle-McGraw consistait a se rendre au bord d’une riviere pour etudier les tetards ou frequenter la bibliotheque municipale pour y etudier un livre sur l’antiquite grecque ou latine. Sa famille d’adoption n’etait guere fortunee, et les vacances consistaient a prendre la voiture et partir faire de la randonnee dans les Rocheuses ou du canoe dans le nord du Minnesota. Le jeune homme en avait sans doute plus appris au cours de ces vacances estivales que la majorite de ses pairs tout au long de leur scolarite. Ses seuls contacts avec les autres enfants avaient lieu au sein de sa patrouille de scouts ou bien aux offices religieux – les Finkle-McGraw frequentaient une eglise methodiste, l’eglise catholique romaine et une minuscule synagogue qui organisait ses offices dans une salle louee a Sioux City.

Ses parents l’inscrivirent dans un college prive, ou il reussit a maintenir tout juste une moyenne de 2 sur un total maximum de 4. Le cursus etait d’une si incroyable inanite, les autres gosses etaient si ennuyeux, que Finkle-McGraw ne tarda pas a mal reagir. Cela lui valut une reputation de bagarreur et de coureur de cross, mais il n’en tira jamais parti pour se gagner des avantages sexuels, ce qui aurait pourtant ete facile en cette epoque de promiscuite. Il possedait en partie ce trait fort irritant qui pousse un jeune homme a jouer par plaisir les non- conformistes, et il avait decouvert que le plus sur moyen de scandaliser la majorite des gens, vu l’epoque, etait d’afficher que certains comportements etaient bons et d’autres detestables, et qu’il etait raisonnable de modeler sa vie en consequence.

Apres son baccalaureat, il passa une annee a gerer une partie de l’exploitation agricole de ses parents, puis il s’inscrivit a l’IUT de l’universite d’Etat d’Iowa (« Science et pratique ») a Ames. Il avait choisi pour dominante le genie agricole avant de passer a la physique au bout d’un trimestre. Tout en conservant la physique comme matiere principale au cours des trois annees ulterieures, il prit des cours dans tous les domaines qui l’interessaient : science de l’information, metallurgie, musique ancienne. Il ne reussit jamais a decrocher un diplome, non pas a cause de ses resultats mais du climat politique ; comme nombre d’universites a cette epoque, l’UEI tenait a voir ses etudiants etudier une large palette de matiere, dont les arts et les lettres. Au lieu de cela, Finkle-McGraw choisit de bouquiner, d’ecouter de la musique et d’aller voir des pieces, a ses heures perdues.

Un ete, alors qu’il vivait a Ames et travaillait comme assistant de recherche dans un laboratoire de physique des solides, la ville se trouva pendant deux jours accidentellement transformee en ile par une gigantesque inondation. Tout comme nombre d’autres habitants, Finkle-McGraw passa plusieurs semaines a edifier des digues a l’aide de sacs de sable et de feuilles de plastique. Une fois encore, il fut frappe par la couverture mediatique nationale de l’evenement – des reporters n’arretaient pas de debouler des deux Cotes pour annoncer, non sans ahurissement, qu’on ne constatait aucun pillage. La lecon apprise lors de l’accident d’avion de Sioux City se vit confirmee. Les emeutes de l’annee precedente a Los Angeles avaient fourni un contre-exemple flagrant. Finkle- McGraw se mit a entretenir une opinion qui devait modeler ses vues politiques au cours des annees ulterieures :

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