en gros, si les individus ne divergeaient guere du point de vue genetique, du point de vue culturel, en revanche, ils etaient aussi differents que possible, et certaines cultures etaient simplement meilleures que d’autres. Ce n’etait pas un simple jugement de valeur, mais plutot l’observation que certaines cultures etaient florissantes et en expansion, quand d’autres connaissaient l’echec. C’etait une opinion partagee implicitement par presque tout le monde mais, a l’epoque, jamais exprimee.

Finkle-McGraw quitta donc l’universite sans diplome et regagna la ferme, qu’il gera durant quelques annees, alors que ses parents etaient accapares par le cancer du sein de sa mere. Apres son deces, il partit s’installer a Minneapolis et trouva un boulot dans une entreprise fondee par un de ses anciens professeurs, un atelier de fabrication de microscopes a balayage a effet tunnel – a l’epoque des appareils de pointe capables de voir et manipuler les atomes. Le domaine etait encore mal defriche, les clients etaient en majorite de grands instituts de recherche, et les applications pratiques semblaient encore lointaines. Mais c’etait parfait pour un jeune homme qui voulait etudier la nanotechnologie, et McGraw s’y mit effectivement, n’hesitant pas a travailler tard la nuit en prenant sur ses heures de loisirs. Compte tenu de sa diligence, de sa confiance en soi et de sa vivacite d’esprit (« element souple, infatigable mais pas vraiment brillant »), sans oublier les notions essentielles apprises sur l’exploitation familiale, il etait inevitable qu’il se retrouve parmi les quelques centaines de pionniers de la revolution nanotechnologique ; que sa propre entreprise, creee cinq ans apres son installation a Minneapolis, survive assez longtemps pour se faire absorber par Apthorp ; et qu’il sache suffisamment bien louvoyer entre les courants economiques et politiques d’Apthorp pour y decrocher un poste d’actionnaire privilegie.

Il possedait toujours l’exploitation familiale dans le nord-ouest de l’Iowa, de meme que quelques centaines de milliers d’arpents de terrains aux alentours, terrains qu’il avait rendus a l’etat de prairie, avec troupeaux de bisons et Indiens authentiques, ces derniers ayant decouvert que chasser le gibier a cheval etait une activite plus gratifiante que trainer sa crasse dans les caniveaux de Minneapolis ou Seattle. Mais la plupart du temps, il demeurait a New Chusan, qui representait en definitive son duche.

« Relations publiques ? demanda Finkle-McGraw.

— Pardon ? » L’etiquette moderne etait depoussieree ; les « Votre Grace » ou autres titres honorifiques n’etaient plus obligatoires en de telles circonstances.

« Votre branche, mon ami. »

Hackworth lui avait donne sa carte de visite, ce qui etait approprie en l’occurrence, mais ne revelait pas grand-chose. « Ingenierie. A facon.

— Oh ! vraiment. J’aurais cru qu’un homme capable de reconnaitre Wordsworth serait plutot un de ces artistes des relations publiques.

— Eh bien non, monsieur. Je suis ingenieur. Recemment promu au service de la Commande. Il se trouve d’ailleurs que j’ai travaille sur ce projet.

— Travaille ? A quel titre, au juste ?

— Oh, des trucs de PI pour l’essentiel », repondit Hackworth. Il supposa que Finkle-McGraw se tenait au courant et qu’il reconnaitrait sans peine l’acronyme de pseudo-intelligence, voire apprecierait meme que son interlocuteur ait fait une telle supposition.

Finkle-McGraw s’anima quelque peu. « Vous savez, quand j’etais gosse, on appelait ca l’IA, l’Intelligence artificielle. »

Hackworth se permit un bref sourire, un peu crispe. « Ma foi, il faut sans doute mettre ca sur le compte du culot, je suppose.

— Dans quel domaine la pseudo-intelligence a-t-elle servi ici ?

— Strictement sur la partie du projet dependant de la MPS, monsieur. » L’Imperial Tectonics s’etait chargee de developper l’ile, les immeubles et la vegetation. Machine-Phase Systems – l’employeur d’Hackworth – s’occupait de tout ce qui etait mobile. Il poursuivit : « Les comportements stereotypes etaient parfaits pour les oiseaux, les dinosaures et ainsi de suite, mais pour les centaures et les faunes, nous voulions plus d’interactivite, quelque chose qui donne une illusion d’intelligence.

— Bien joue, monsieur Hackworth, oui, bien joue.

— Merci, monsieur.

— Cela dit, je sais parfaitement que seule la creme des ingenieurs atteint le niveau de la Commande. Mais si vous me racontiez plutot comment un aficionado de la poesie romantique est parvenu a un tel poste. »

Hackworth fut pris de court et chercha a repondre sans affectation. « Je ne doute pas qu’un homme ayant vos fonctions ne voie aucune contradiction a ce que…

— Mais ce n’est pas a un homme ayant mes fonctions que vous devez votre promotion a la Commande. C’est a un homme ayant de tout autres attributions. Et j’ai bien peur que ces gens-la aient, eux, tendance a y voir une contradiction.

— Certes, je vois. Eh bien, monsieur, j’ai etudie l’anglais a la faculte.

— Ah ! vous n’etes donc pas de ces jeunes gens qui ont suivi la voie etroite et toute tracee vers la carriere d’ingenieur.

— Je suppose que non, monsieur.

— Et vos collegues, a la Commande ?

— Ma foi, si je devine votre question, monsieur, je reconnais que, en comparaison des autres services, une assez notable proportion d’ingenieurs de la Commande ont connu… eh bien, faute d’un terme plus adequat, je dirais, une vie interessante.

— Et qu’est-ce qui rend la vie d’un homme plus interessante que celle de son voisin ?

— En general, je dirais qu’on trouve toujours plus interessant tout ce qui est imprevisible ou inedit.

— C’est presque une tautologie. » Mais meme si Lord Finkle-McGraw n’etait pas du genre a exprimer ses sentiments avec exuberance, il parut se montrer presque satisfait du tour pris par la conversation. Il se retourna pour contempler a nouveau le paysage et regarda les enfants pendant une minute ou deux, sans cesser de creuser le sol du bout de sa canne de marche, comme si l’integrite de l’ile le laissait encore sceptique. Puis il lui fit decrire un arc de cercle qui embrassa la moitie de celle-ci. « Combien de ces enfants sont promis, selon vous, a une vie interessante ?

— Eh bien, j’en vois au moins deux, monsieur – la princesse Charlotte et votre petite-fille.

— Vous etes vif, Hackworth, et je vous soupconne d’etre capable de vous montrer sournois si vous n’aviez pas cette force morale », remarqua Finkle-McGraw, non sans malice. « Dites-moi, vos parents etaient-ils sujets ou bien avez-vous prete Serment ?

— Des que j’ai eu fete mes vingt et un ans, monsieur. Sa Majeste – a l’epoque, en fait, c’etait encore Son Altesse Royale – visitait l’Amerique du Nord, avant son entree a Stanford, et j’ai prete Serment en l’eglise de la Trinite, a Boston.

— Pourquoi ? Vous etes un garcon degourdi, pas obtus en matiere de culture, comme le sont tant d’ingenieurs. Vous auriez pu rejoindre la Premiere Republique distribuee ou n’importe quel phyle parmi la centaine qui existe sur la cote Ouest. Vous auriez eu de belles perspectives de carriere, et vous auriez ete libere (Finkle brandit sa canne vers les deux gros aeronefs) de cette discipline du comportement a laquelle nous avons choisi de nous soumettre. Pourquoi vous l’etes-vous donc imposee, monsieur Hackworth ?

— Sans vouloir deriver vers des affaires qui sont, par nature, strictement personnelles, repondit prudemment Hackworth, j’ai connu deux formes de discipline, etant enfant : pas de discipline du tout, ou trop de discipline. La premiere methode conduit a un comportement degenere. Et quand je parle de degenerescence, je ne suis pas moralisateur, monsieur – je fais allusion a des evenements que j’ai bien connus et qui ont rendu mon enfance tout sauf idyllique.

Finkle-McGraw, sans doute conscient d’avoir franchi les bornes, hocha vigoureusement la tete. « C’est un argument qui m’est familier, bien sur.

— Bien sur, monsieur. Loin de moi l’idee de sous-entendre que j’aie pu etre le seul adolescent gache par ce qu’est devenue ma culture natale.

— Et je ne vois pas une telle implication. Mais bien des jeunes gens qui partagent vos sentiments ont trouve leur voie dans des phyles au sein desquels prevaut un regime bien plus rigoureux, et ou c’est nous que l’on considere comme des degeneres.

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