princesse-ballerine, avaient cartographie et chronometre ses synapses, preleve des echantillons de son sang. La princesse-ballerine avait refuse leurs drogues, leur chirurgie delicate. « Ils veulent me decouper la cervelle au laser », avait-elle confie a Kumiko, en murmurant. Elle avait egalement murmure d’autres choses.

La nuit, disait-elle, les mauvais fantomes s’elevaient comme de la fumee de leurs boites dans le bureau du pere de Kumiko.

« Tous ces vieillards, avait-elle dit, ils vous suffoquent. Ton pere me suffoque. Cette ville me suffoque. Jamais un moment de calme. Pas de vrai sommeil possible. »

Finalement, il n’y avait plus eu de sommeil du tout. Six nuits d’affilee, sa mere etait restee assise, muette et parfaitement immobile, dans sa chambre bleue decoree a l’europeenne. Le septieme jour, elle avait quitte l’appartement, seule – exploit remarquable, compte tenu de la diligence des secretaires – et pris le chemin de la riviere aux eaux froides.

Mais le fond de l’etalage ressemblait aux lunettes de Sally. Kumiko sortit de sa manche le plan du Coreen.

Il y avait une carcasse de voiture brulee le long du trottoir dans Margate Road. Elle n’avait plus de roues. Kumiko s’etait arretee le long de l’epave pour inspecter du regard les facades muettes des maisons d’en face quand elle entendit un bruit dans son dos. Elle se retourna pour decouvrir un visage deforme de gargouille, sous un casque de boucles graisseuses, a la lumiere de la porte entrouverte de la maison la plus proche.

— Tic-Tac !

— Terrence, en fait, dit-il, et le tic facial disparut.

L’appartement de Tic-Tac etait situe au dernier etage. Les niveaux inferieurs etaient vides, inoccupes, le papier peint decolle revelant la trace spectrale de tableaux evanouis.

La claudication de l’homme etait plus marquee lorsqu’il monta l’escalier devant elle. Il portait un costume gris en peau d’ange et des richelieus a semelles epaisses, en daim couleur tabac.

— J’t’attendais, dit-il, en se hissant sur une marche, puis une autre encore.

— Ah bon ?

— J’savais que tu t’enfuirais de chez Swain. Me suis mis a espionner leur trafic, des que l’autre m’a laisse le temps.

— L’autre ?

— T’es pas au courant, hein ?

— Pardon ?

— C’est la matrice. Quelque chose est en train de se produire. Plus facile a montrer qu’a expliquer. D’ailleurs je suis incapable de le faire. Je dirais qu’il y a bien les trois quarts de l’humanite qui sont interfaces a cet instant meme, rives au spectacle…

— Je ne comprends pas.

— M’etonnerait que quelqu’un comprenne. Il y a une nouvelle macroforme dans le secteur qui represente la Conurb.

— Une macroforme ?

— Une immense reconstitution symbolique de donnees.

— Je suis venue ici pour avertir Sally. Swain et Robin Lanier ont l’intention de la livrer a ceux qui complotent pour enlever Angela Mitchell.

— A ta place, j’me ferais pas de souci pour ca, dit-il en atteignant le haut des marches. Sally a deja ramasse Mitchell et a moitie tue l’homme de main de Swain dans la Conurb. De toute facon, ils sont a ses trousses, a present. Merde, elle va pas tarder a avoir tout le monde aux trousses. Enfin, on peut toujours la prevenir quand elle se pointera. Si elle se pointe…

Tic-Tac vivait dans un immense studio dont la forme bizarre trahissait la suppression des cloisons interieures. Il etait vaste mais egalement tres encombre ; il donnait a Kumiko l’impression qu’on y avait deploye le contenu d’une boutique de modules d’Akihabara dans un espace deja occupe – a la gaijin – d’une plethore de meubles encombrants. Malgre tout, la piece etait incroyablement propre et bien rangee : l’angle des magazines etait aligne avec l’angle de la table basse sur laquelle ils etaient poses, pres d’un cendrier propre en ceramique noire et d’un vase de fleurs coupees, blanc uni.

Elle essaya de nouveau d’acceder a Colin pendant que Tic-Tac versait dans une bouilloire electrique l’eau d’un broc muni d’un filtre.

— Qu’est-ce que c’est que ca ? demanda-t-il en reposant le broc.

— Une platine-guide Maas-Neotek. Elle est cassee, je n’arrive plus a faire venir Colin.

— Colin ? C’est un lecteur de stims ?

— Oui.

— Laisse-moi y jeter un ?il… (Il tendit la main.)

— C’est mon pere qui me l’a donnee…

Sifflotement de Tic-Tac.

— Ce truc coute une fortune. Une de leurs petites I.A. Comment marche-t-elle ?

— Vous fermez la main autour et Colin est la, mais personne d’autre que vous ne peut le voir ou l’entendre.

Tic-Tac porta le boitier a son oreille et le secoua.

— Elle est cassee ? Comment ca se fait ?

— Je l’ai fait tomber.

— C’est juste le boitier qui est brise, vois-tu. Le biogiciel s’en est detache, ce qui t’empeche d’y acceder manuellement.

— Pouvez-vous le reparer ?

— Non. Mais on peut y acceder par l’intermediaire d’une console, si tu veux…

Il lui rendit le boitier. La bouilloire sifflait. Tout en buvant son the, elle lui fit le recit de son voyage a la Conurb et de la visite de Sally a la chasse dans la ruelle.

— Il l’a appelee Molly, dit-elle.

Tic-Tac hocha la tete, plissa les yeux rapidement a plusieurs reprises.

— Tout ce qu’elle a pu endurer, la-bas ! De quoi ont-ils parle ?

— D’un endroit nomme Lumierrante. D’un homme nomme Case. D’une ennemie, une femme…

— Tessier-Ashpool. J’lui ai trouve ca en piratant pour elle les transmissions de donnees de Swain. Swain fourgue Molly a cette Dame 3Jane, c’est son nom ; elle detient le plus juteux des dossiers de saloperies intimes qu’on puisse imaginer, sur tout et sur tout le monde. J’ai fait bigrement gaffe a ne pas y regarder de trop pres. Swain troque ca a droite et a gauche, en ramassant au passage une fortune. Je suis certain qu’il a recueilli de quoi le faire chanter egalement, notre Monsieur Swain…

— Et elle est ici, a Londres ?

— Quelque part en orbite, plutot, bien que certains soutiennent qu’elle est morte. Je travaillais la-dessus, a vrai dire, quand l’autre grande bringue a jailli dans la matrice…

— Pardon ?

— Attends, je vais te montrer.

Quand il revint a la table blanche, il portait un mince plateau noir muni sur un cote d’une rangee de boutons minuscules. Il le deposa sur la table et toucha l’un des petits interrupteurs. Un afficheur holographique cubique s’illumina au-dessus du projecteur : la trame de neon du cyberspace, ou s’alignaient des formes lumineuses, a la fois simples et complexes, qui representaient de vastes accumulations de donnees memorisees.

— Voila toutes les grosses boites bien connues. Les corporations. Un paysage quasiment immuable, pourrait-on dire. Parfois, l’une ou l’autre developpe une annexe, ou bien on assiste a une capture et deux d’entre elles fusionnent. Mais tu auras peu de chances d’en voir une nouvelle, a cette echelle en tout cas. Elles commencent toutes petites et grossissent, puis se fondent avec d’autres petites formations… (Il tendit la main pour effleurer un autre bouton.) Il y a quatre heures environ (un mince cylindre vertical blanc uni apparut au centre exact de l’affichage), voila ce qui a surgi dans le paysage. Ou s’y est incruste, plutot.

Les cubes, spheres et pyramides colores s’etaient instantanement rearranges pour faire place a la colonne

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