ultimatum qui « souhaitait » l’ouverture de l’ile aux etrangers.
Les Japonais n’avaient jamais vu jusque-la de navire capable de remonter la mer contre le vent.
Lorsque, sept mois plus tard, Perry fut de retour pour recevoir la reponse a son ultimatum, le gouvernement militaire de l’ile se plia a la signature d’un accord qui acceptait l’ouverture aux etrangers de deux ports dans le nord du pays, et l’etablissement de quelques premieres, prudentes, relations commerciales. La mer autour de cette ile – declara le commodore avec une certaine solennite – est desormais beaucoup moins profonde.
10
Baldabiou connaissait toutes ces histoires. Surtout, il connaissait une legende qui revenait tres souvent dans les recits de ceux qui y etaient alles, la-bas. Ils disaient que dans cette ile on produisait la plus belle soie du monde. Et cela depuis plus de mille ans, selon des rites et des secrets qui avaient atteint une exactitude mystique. Baldabiou, lui, pensait que ce n’etait pas une legende mais la pure et simple verite. Un jour, il avait tenu dans sa main un voile tisse avec un fil de soie japonais. C’etait comme ne rien tenir entre ses doigts. Aussi, quand tout parut s’en aller a vau-l’eau a cause de cette histoire de pebrine et des ?ufs malades, il pensa ceci :
— Cette ile est pleine de vers a soie. Et une ile ou pendant deux cents ans aucun commercant chinois et aucun assureur anglais n’est parvenu a entrer est une ile ou aucune maladie n’entrera jamais.
Il ne se contenta pas de le penser : il le dit a tous les producteurs de soie de Lavilledieu, apres les avoir convoques dans le cafe de Verdun. Aucun d’eux n’avait jamais entendu parler du Japon.
— Nous devrions traverser le monde pour aller nous acheter des ?ufs tels que Dieu les voudrait, dans un endroit ou quand on voit un etranger on le pend ?
— Le pendait, precisa Baldabiou.
Ils ne savaient qu’en penser. A l’esprit de l’un d’eux, une objection se presenta.
— Il doit bien y avoir une raison pour que personne au monde n’ait eu l’idee d’aller acheter ses ?ufs la-bas.
Baldabiou aurait pu bluffer en rappelant que nulle part au monde il n’y avait un autre Baldabiou. Mais il prefera dire les choses comme elles etaient.
— Les Japonais se sont resignes a vendre leur soie. Mais leurs ?ufs, non. Ils les gardent pour eux. Et celui qui essaie d’en faire sortir de l’ile commet un crime.
Les producteurs de soie de Lavilledieu etaient, a des degres variables, des gentlemen, jamais ils n’auraient songe a enfreindre une quelconque loi dans leur pays. L’hypothese de le faire a l’autre bout du monde leur parut, cependant, raisonnablement sensee.
11
On etait en 1861. Flaubert finissait
— Et il est ou, exactement, ce Japon ?
Par la, toujours tout droit. Jusqu’a la fin du monde.
Il partit le 6 octobre. Seul.
Aux portes de Lavilledieu, il serra contre lui sa femme Helene et lui dit simplement
— Tu ne dois avoir peur de rien.
C’etait une femme grande, aux gestes lents, elle portait de longs cheveux noirs qu’elle ne rassemblait jamais sur sa tete. Elle avait une voix superbe.
12
Herve Joncour partit avec quatre-vingt mille francs or, et les noms de trois hommes que Baldabiou lui avait procures : un Chinois, un Hollandais et un Japonais. Il passa la frontiere pres de Metz, traversa le Wurtemberg et la Baviere, penetra en Autriche, atteignit par le train Vienne puis Budapest et poursuivit jusqu’a Kiev. Il parcourut a cheval deux mille kilometres de steppe russe, franchit les monts Oural, entra en Siberie, voyagea pendant quarante jours avant d’atteindre le lac Baikal, que les gens de l’endroit appelaient : mer. Il redescendit