a plusieurs millions de parsecs. Penchee de cote comme un oiseau planant, elle etale au loin son disque mince qui doit consister en branches spirales, tandis qu’au centre flamboie un noyau spherique tres ecrase, qui a l’air d’une masse lumineuse compacte. On voit nettement que ces iles stellaires sont plates : la galaxie peut se comparer a un rouage d’horlogerie. Ses bords s’estompent, comme s’ils se dissolvaient dans les tenebres de l’infini. C’est a l’un des bords de notre Galaxie que se trouvent le Soleil et la Terre, grain de poussiere microscopique, rattachee par le savoir a une multitude de mondes habites et deployant les ailes de la pensee humaine sur l’eternite du Cosmos !
Mven Mas projeta l’image de la galaxie NGK 4594 qui l’avait toujours interesse plus que les autres. Vue egalement par la tranche, dans la constellation de la Vierge, et situee a dix millions de parsecs, elle ressemblait a une grosse lentille rutilante, enveloppee de gaz lumineux. Une large bande noire — amas de matiere opaque — la traversait suivant l’equateur. La galaxie luisait, telle une lanterne mysterieuse au fond d’un abime.
Quels mondes se dissimulaient dans son rayonnement, plus intense que celui des autres galaxies et qui atteignait en moyenne la classe spectrale F ? Comprenait-elle de puissantes planetes habitees, ou la pensee s’appliquait, comme chez nous, a percer les mysteres de la nature ?
Le mutisme absolu des vastes iles stellaires faisait serrer les poings a Mven Mas. Il se rendait compte de la distance fantastique : la lumiere mettait trente-deux millions d’annees a parvenir jusqu’a cette galaxie ! L’echange de messages prendrait donc soixante-quatre millions d’annees !
Mven Mas choisit une autre bobine, et l’ecran renvoya une grande tache de lumiere vive, parmi des etoiles rares et pales. Une bande noire irreguliere coupait en deux la tache ronde, accentuant par contraste son eclat ; les extremites elargies de la bande eclipsaient le vaste champ de gaz enflamme qui aureolait la tache lumineuse. Tel etait le cliche obtenu par des moyens fort ingenieux, de galaxies affrontees dans la constellation du Cygne. Cette collision de galaxies aussi immenses que la notre ou que la Nebuleuse d’Andromede, etait connue de longue date comme une source de radio-activite, la plus puis sante, sans doute, de la partie accessible de l’Univers. Les jets de gaz animes d’un mouvement rapide engendraient des champs electromagnetiques formidables qui diffusaient a travers le Cosmos la nouvelle de la catastrophe inouie. La matiere elle-meme envoyait ce signal de detresse par un poste de mille quintillions de kilowatts. Mais la .distance entre les galaxies etait si grande, que le cliche projete sur l’ecran montrait leur etat d’il y avait des millions d’annees. L’aspect actuel des galaxies qui s’interpenetraient, serait visible dans un nombre d’annees si colossal, qu’on ne savait si l’humanite durerait jusque-la.
Mven Mas bondit et appuya les mains sur la table massive, a faire craquer les jointures.
Ce delai de millions d’annees, inaccessible a des dizaines de milliers de generations, synonyme du « jamais » accablant pour la posterite la plus lointaine, pourrait etre supprime d’un coup de baguette magique. Cette baguette, c’etait la decouverte de Ren Boz et l’experience qu’ils allaient faire ensemble.
Les points les plus eloignes de l’Univers se trouveraient a portee de la main I
Les astronomes de l’antiquite supposaient que les galaxies, s’ecartaient les unes des autres. La lumiere des iles stellaires lointaines, qui penetrait dans les telescopes terrestres, s’alterait : les ondes lumineuses s’allongeaient, devenaient des ondes rouges. Ce rougissement attestait que les galaxies s’eloignaient de l’observateur. Les anciens, habitues a interpreter les phenomenes d’une facon rigide et unilaterale, avaient cree la theorie de la dispersion ou de l’expansion de l’Univers, sans comprendre qu’ils ne voyaient qu’un aspect du grand processus de destruction et de creation. Seules, la dispersion et la destruction — c’est-a-dire le passage de l’energie a des degres inferieurs selon le deuxieme principe de la thermodynamique — etaient percues par nos sens et par les appareils destines a les amplifier. Quant a l’autre aspect — accumulation, concentration, creation — il etait imperceptible aux hommes, car la vie elle-meme puisait sa force dans l’energie dispersee par les astres, ce qui conditionnait notre perception du monde environnant. Le cerveau humain a pourtant fini par penetrer ces processus caches de formation des mondes dans l’Univers. Mais a l’epoque on croyait que plus la galaxie etait loin, plus sa vitesse apparente d’eloignement etait considerable' Finalement, on crut observer des vitesses proches de celles de la lumiere. Certains savants declarerent que la limite de visibilite du Cosmos etait la distance d’ou les galaxies semblaient avoir atteint la vitesse de la lumiere : en effet, nous n’en aurions recu aucun rayon et n’aurions jamais pu les voir. On sait pourquoi la lumiere des galaxies lointaines rougit. Le phenomene a plusieurs causes, ainsi que cela a toujours ete dans l’histoire de la science. Des amas lointains d’etoiles, nous ne recevons que la lumiere emise par leurs centres brillants. Ces masses enormes de matieres sont entourees de champs electromagnetiques annulaires qui agissent sur les rayons lumineux par leur puissance et aussi par leur extension ; ils ralentissent les vibrations de la lumiere dont les ondes s’allongent et deviennent rouges. Dans l’antiquite, les astronomes savaient deja que la lumiere des etoiles trc§ denses rougissait, que les raies du spectre se deplacaient vers l’extremite rouge et l’etoile semblait s’eloigner, comme par exemple la naine blanche Sirius B, seconde composante de Sirius. Plus la galaxie est eloignee, plus le rayonnement qui nous en parvient est centralise et plus le deplacement vers l’extremite rouge du spectre est prononce.
D’autre part, les ondes lumineuses qui franchissent une tres grande distance sont « ebranlees »,, et les quanta de lumiere perdent une partie de leur energie. Ce phenomene est explique de nos jours : les ondes rouges peuvent aussi etre des ondes ordinaires fatiguees, « vieillies ». Ainsi, les ondes lumineuses, si penetrantes, « vieillissent » en traversant les espaces demesures. Quel espoir aurait donc l’homme de les franchir, a moins d’attaquer la gravitation meme par son oppose, suivant les calculs de Ren Boz ...
Enfin, l’angoisse a diminue ! Nous avons raison de risquer cette experience sans precedent !
Mven Mas sortit comme d’habitude sur le balcon de l’observatoire et s’y promena a pas precipites. Dans ses yeux fatigues clignotaient encore les galaxies qui envoyaient a la Terre leurs ondes rouges tels des signaux de detresse, des appels a la pensee toute-puissante de l’homme, Mven Mas eut un rire silencieux, plein d’assurance. Ces rayons rouges seraient un jour aussi familiers que ceux qui avaient eclaire le corps de Tchara Nandi a la fete des Coupes de Feu, de cette Tchara qui lui etait soudain apparue sous l’aspect de la fille cuivree d’Epsilon du Toucan, sa princesse lointaine ...
Oui, c’est sur Epsilon du Toucan qu’il orienterait le vecteur de Ren Boz non plus seulement pour voir ce monde splendide, mais aussi en l’honneur de sa representante sur la Terre !
L’ecole 410 du troisieme cycle se trouvait dans le sud de l’Irlande. De vastes champs des vignes et des bouquets de chenes descendaient des collines verdoyantes jusqu’a la mer. Veda Kong et Evda Nal, venues a l’heure des etudes, suivaient lentement le corridor qui faisait le tour des classes disposees sur le perimetre d’un batiment circulaire. Le temps etait pluvieux, aussi les lecons se passaient-elles dans les salles et non sur les pelouses, a l’ombre des feuillages, comme d’ordinaire.
Veda Kong, qui se sentait redevenue ecoliere, marchait en tapinois et ecoutait aux entrees en chicane, sans portes, comme dans la plupart des etablissements scolaires. Evda Nal se preta au jeu. Elles guignaient de derriere les cloisons, cherchant la fille d’Evda sans se faire voir.
Dans la premiere piece, elles apercurent trace a la craie bleue, sur tout le mur, un vecteur entoure d’une spirale. Deux portions de la courbe s’encadraient d’ellipses transversales ou etait inscrit un systeme de coordonnees rectangulaires.