plate-forme provisoire en toles de revetement interieur, ou on disposait et assemblait les pieces livrees au moyen des fusees. Les travailleurs s’y massaient, pareils a des abeilles sombres ou des vers luisants, lorsque la surface miroitante du scaphandre sortait de sous la hotte. Un reseau de cables partait des tremies de dechargement qui beaient dans les flancs des fusees. Encore plus haut, juste au-dessus de la carcasse montee, des hommes aux attitudes bizarres et parfois comiques s’affairaient autour d’une machine volumineuse. A terre, un seul anneau en bronze de beryllium borazone aurait pese au moins une centaine de tonnes. Mais ici, cette masse pendait docilement pres de la carcasse, au bout d’un cable mince qui avait pour role d’egaliser les vitesses integrales de rotation autour de la Terre de toutes ces pieces detachees.
Quand les travailleurs se furent accoutumes a l’absence ou, plus exactement, a l’intimite de la force de pesanteur, ils devinrent adroits et surs d’eux. Mais on serait bientot oblige de les remplacer par d’autres, car un long travail manuel sans pesanteur provoque un trouble de la circulation sanguine, qui risque de persister et de faire de l’homme un invalide apres son retour sur la Terre. Aussi chacun travaillait-il sur le satellite cent cinquante heures au maximum et regagnait la Terre apres avoir ete reacclimate a la station Intermediaire qui tournait a 900 kilometres de la planete.
Dar Veter qui dirigeait le montage, tachait de ne pas se surmener, malgre le desir d’accelerer telle ou telle besogne.
Il devait, lui, demeurer plusieurs mois a cette altitude de 57 mille kilometres.
En autorisant le travail nocturne, il pourrait abreger le sejour de ses jeunes amis et hater la releve. Le deuxieme pianetonef du chantier, le
La decision de travailler pendant toute la nuit cosmique reduisait de moitie la duree du montage. Dar Veter ne pouvait refuser cette chance. Il approuva donc l’idee de ses hommes qui se disperserent aussitot en tous sens pour tendre un reseau de cables encore plus complique. Le pianetonef Altai, qui servait de logement au personnel et restait immobile au bout de la poutre d’appui, decrocha soudain les cables a roulettes qui reliaient sa trappe d’entree a la carcasse du satellite. De longues flammes jaillirent de ses moteurs. L’immense vaisseau vira prestement. Pas un bruit ne parvint a travers le vide de l’espace interplanetaire. Le commandant experimente de l’Altai n’eut besoin que de quelques coups de moteurs pour s’elever a quarante metres au-dessus du chantier et tourner ses projecteurs d’atterrissage vers Ja plate-forme. On retendit les cables conducteurs entre l’astronef et la carcasse, et la multitude d’objets heteroclites, suspendus dans l’espace, acquit une immobilite relative, tout en poursuivant sa rotation autour de la TerVe a une vitesse d’environ dix mille kilometres a l’heure.
La repartition des nuages revela a Dar Veter que le chantier survolait la region antarctique et que, par consequent, il penetrerait bientot dans l’ombre de la Terre. Les rechauffeurs perfectionnes des scaphandres ne peuvent neutraliser entierement le souffle glace de l’espace cosmique, et malheur a celui qui depense etourdiment l’energie de ses piles ! C’est ainsi qu’a peri, il y a un mois, un architecte monteur qui s’etait mis a l’abri d’une brusque averse de meteorites dans le corps froid d’une fusee ouverte. Il n’a pas tenu jusqu’au retour vers le cote ensoleille ... Un ingenieur a ete tue par une meteorite Ces accidents-la ne peuvent etre prevus ni evites. La construction des satellites reclame toujours ses victimes et nul ne sait qui sera la suivante ! Les lois de la probabilite, difficilement applicables aux grains de poussiere que sont les hommes isoles, disent pourtant que Dar Veter a le plus de chances d’y rester, car c’est lui qui se trouve le plus longtemps a cette hauteur exposee a tous les hasards du Cosmos ... Mais une voix interieure audacieuse lui suggere que rien ne peut arriver a sa magnifique personne. Si absurde que soit cette certitude pour un homme a l’esprit mathematique, elle ne quitte pas Dar Veter et l’aide a marcher tranquillement, en equilibre sur les poutres et les treillis de la carcasse suspendue dans le gouffre du ciel noir ...
Le montage des pieces sur la Terre se faisait par des machines speciales, qu’on appelait « embryotectes », parce qu’elles fonctionnaient suivant le principe de la cybernetique d’evolution de l’organisme vivant. Evidemment, la structure moleculaire de l’etre vivant, due au mecanisme cybernetique hereditaire, etait beaucoup plus complexe.
Les organismes vivants ne se developpaient qu’a partir des solutions tiedes de molecules ionisees, tandis que les embryotectes fonctionnaient en general aux courants polarises, a la lumiere ou au champ magnetique. Les marques et les clefs apposees sur les pieces avec du thallium radioactif guidaient infailliblement le montage, qui s’executait a une vitesse etonnante pour les profanes. Mais il n’y avait ni ne pouvait y avoir de machines pareilles en plein ciel. L’assemblage du satellite etait un chantier a l’ancienne mode, ou on travaillait a la main. En depit des dangers, la besogne semblait si passionnante qu’elle attirait des milliers de volontaires. Les stations d’epreuves psychologiques n’avaient que le temps d’examiner tous ceux qui se declaraient prets a partir dans l’espace interplanetaire ...
Dar Veter atteignit la base des machines solaires disposees en eventail autour d’un enorme moyeu pourvu d’un appareil de gravitation artificielle et brancha sa pile dorsale sur le circuit de controle. Une melodie simple resonna dans le telephone de son casque. Alors, il y relia parallelement une plaque de verre ou un schema etait trace en lignes d’or. La meme melodie lui repondit. Dar Veter tourna deux verniers pour faire coincider les temps et s’assura de la concordance absolue des melodies et meme des tonalites du reglage. Une partie importante du futur engin avait ete montee de facon impeccable. On pouvait passer a l’installation des moteurs electriques. Dar Veter redressa ses epaules fatiguees de porter le scaphandre et remua la tete. Le mouvement fit craquer les vertebres du cou engourdi sous le casque. C’etait encore heureux que Dar Veter ne fut pas sujet a la maladie ultraviolette du sommeil et a la rage infrarouge, affections mentales qui sevissaient en dehors de l’atmosphere terrestre et qui l’auraient empeche de mener a bonne fin sa mission glorieuse.
Le premier revetement defendrait bientot les travailleurs contre la solitude accablante dans le Cosmos, au- dessus du gouffre sans ciel ni terre !
Un dispositif de sauvetage lance de Y Altai passa en vitesse pres du chantier. C’etait un remorqueur envoye aux fusees automatiques qui ne transportaient que les marchandises et s’arretaient aux niveaux prevus, «
II etait temps ! L’amas flottant de fusees, d’hommes, de machines et de materiaux glissait vers le cote nocturne de la Terre. Le remorqueur revint, attele a trois longues fusees pis-ciformes aux reflets bleuatres, dont chacune pesait sur la Terre cent cinquante tonnes, sans compter le carburant.
Elles rejoignirent leurs pareilles, ancrees autour de la plateforme de triage. Dar Veter bondit a l’autre extremite de la carcasse et se trouva au milieu des ingenieurs preposes au dechargement. On discutait le plan de travail nocturne. Dar Veter se rangea a leur avis, mais leur ordonna de renouveler les piles individuelles qui rechauffaient les scaphandres pendant trente heures d’affilee, tout en alimentant les lampes, les filtres a air et les radiotelephones.
Le chantier plongea dans les tenebres comme dans un abime, mais la douce lumiere zodiacale provenant des rayons du soleil disperses par les gaz atmospheriques eclaira longtemps encore le squelette du futur satellite, fige a 180 degres de froid. La supraconductibilite devint plus genante que pendant le jour. A la moindre usure de l’isolation des instruments, des piles ou des accumulateurs, les objets voisins s’aureolaient d’un nimbe bleute et il devenait impossible de diriger le courant. L’obscurite opaque du Cosmos survint, accompagnee d’un froid terrible. Les etoiles brillaient d’un eclat intense, telles des aiguilles de flamme bleue. Le vol invisible et silencieux des meteorites paraissait plus effrayant que jamais. En bas, a la surface du globe sombre, dans les flux de l’atmosphere, fulgu-raient des nuages electriques multicolores des decharges d’une longueur demesuree ou des