alors quantite de vehicules capables de transporter sur leurs sieges rembourres un petit nombre de personnes. L’elegance de leurs lignes se perfectionnait, les mecanismes de commande et de motion ne manquaient pas d’ingeniosite, mais pour le reste ils demeuraient absurdes. Ils circulaient par centaines de milliers dans les rues et sur les routes, transportant des gens qui, on ne savait pourquoi, travaillaient loin de leur domicile et se hataient chaque jour d’aller au travail et d’en revenir. Ces machines, dangereuses a conduire, avaient tue une multitude de personnes, consume des milliards de tonnes de matieres precieuses, tirees du sein de la planete, et empoisonne l’air par l’acide carbonique. Les archeologues de l’Ere de l’Anneau etaient decus de voir qu’on avait reserve tant de place dans la grotte a ces voitures etranges.
Sur des plates-formes basses s’elevaient des moteurs a pistons plus puissants, des moteurs electriques, a reaction, a turbines, af energie nucleaire. Dans des vitrines recouvertes d’une couche epaisse de tuf, s’alignaient des appareils : sans doute des postes de television, des cameras, des machines a calculer, etc. Ce musee de mecanismes dont quelques-uns etaient ronges par la rouille, tandis que d’autres avaient resiste aux attaques du temps, presentait une immense valeur historique, car il revelait le niveau de la technique des temps recules, dont la plupart des documents avaient disparu dans les perturbations militaires et politiques.
Miika Eigoro, la fidele adjointe de Veda, qui avait de nouveau abandonne sa mer cherie pour l’humidite et la nuit des souterrains, apercut au bout de la salle, derriere une grosse colonne calcaire, le trou noir d’une galerie. La colonne etait la carcasse d’une machine, au pied de laquelle s’amoncelaient les debris d’un panneau en matiere plastique qui fermait autrefois l’entree. Longeant pas a pas les cables rouges des chariots de reconnaissance, les archeologues gagnerent une seconde caverne, situee presque au meme niveau et remplie d’armoires hermetiques en verre et en metal. Une longue inscription en anglais faisait le tour des murs a pic, effrites par endroits. Veda ne put se retenir de la dechiffrer aussitot.
Les batisseurs du caveau declaraient a leurs descendants, avec la fanfaronnerie typique de l’individualisme des anciens, qu’ils etaient parvenus aux sommets du savoir et conservaient la pour la posterite leurs realisations etonnantes.
Miika haussa les epaules d’un air dedaigneux.
— On voit, rien qu’a cette inscription, que le « Refuge de la Culture » remonte a la fin de l’Ere, aux dernieres annees de l’ancien regime. Elle est typique pour les gens de l’epoque, cette croyance absurde a l’existence immuable de leur civilisation, de leur langue, de leurs coutumes, de la morale et de la pretendue grandeur de l’homme blanc !
— Votre jugement est net mais unilateral, Miika. Moi, j’entrevois a travers le sinistre squelette du capitalisme mourant ceux qui lutterent pour l’avenir. Leur avenir a eux, c’est notre present. Je vois quantite d’hommes et de femmes qui cherchaient la lumiere dans la vie etroite et pauvre, assez forts pour s’evader de leur geole, assez bons pour aider leurs amis et ne pas s’aigrir dans la touffeur morale du monde ambiant ...
— Ceux qui cachaient leur culture dans cette caverne n’etaient pas ainsi, repliqua Miika. Tenez, il n’y a la que des choses techniques. Ils se targuaient de leur technique, sans s’inquieter de leur ensauvagement moral et emotif, Ils meprisaient le passe et fermaient les yeux sur l’avenir !
Veda donna raison a Miika. Ces hommes auraient ete plus heureux, s’ils avaient su proportionner les resultats acquis a ce qui restait encore a faire pour transformer le monde et la societe. Ils auraient vu alors, dans toute sa misere, leur planete souillee, enfumee, depouillee de ses forets, encombree de papiers et d’eclats de verre, de gravats et de ferraille. Dessilles, ils auraient ete plus sages et plus modestes ...
Un puits etroit de trente-deux metres de profondeur conduisait a une autre salle. Apres avoir envoye Miika et deux aides chercher l’appareil gamma pour la radioscopie des armoires, Veda se mit a explorer cette troisieme grotte, sans tuf ni coulees d’argile. Les vitrines basses, en verre moule etaient seulement embuees par l’humidite interieure. Penches sur les glaces, les archeologues examinaient les bijoux en or et en platine, sertis de gemmes. Cette collection de reliques devait dater du temps ou on avait encore la manie, derivee du culte des manes, de preferer l’ancien au nouveau. Veda eprouva, une fois de plus, du depit devant la suffisance des ancetres qui croyaient que leurs notions de la valeur et leurs gouts resteraient immuables a travers les siecles et seraient adoptes comme canon par la posterite.
L’extremite de la grotte se changeait en couloir droit et haut, qui descendait en pente douce a une profondeur inconnue. Les compteurs des chariots indiquaient, au depart du couloir, 304 metres au-dessous de la surface de la Terre. De larges fissures partageaient lgs voutes en enormes plaques calcaires qui devaient peser des milliers de tonnes. Veda se sentit alarmee. L’experience acquise au cours de l’etude de nombreux souterrains lui disait que la masse rocheuse, au piedde la crete de montagnes, etait en equilibre instable. Peut-etre avait-elle ete deplacee par un seisme ou par l’exhaussement general qui avait sureleve les montagnes d’une cinquantaine de metres depuis la fondation de ce musee. Une expedition archeologique ordinaire n’etait pas en mesure de fixer cette masse formidable. Seuls, des buts importants pour l’economie de la planete auraient justifie de tels efforts.
D’autre part, les tresors historiques receles dans une grotte aussi profonde pouvaient avoir une valeur technique, comme les inventions oubliees mais utiles au monde actuel.
La prudence recommandait de ne pas pousser l’exploration plus loin. Mais pourquoi le savant menagerait-il sa personne, alors que des millions de gens faisaient des travaux et des essais dangereux, que Dar Veter et ses camarades ?uvraient a 57 mille kilometres au-dessus, de la Terre et qu’Erg Noor se preparait a un voyage sans retour ! Ces deux hommes qu’elle tenait en haute estime n’auraient pas recule ... Eh bien, elle ne reculerait pas non plus ...
Des piles de rechange, une camera electronique, deux appareils a oxygene ... Elles iraient a deux, Veda et l’intrepide Miika, laissant a leurs camarades le soin d’etudier la troisieme salle.
Veda Kong leur conseilla de se restaurer. On sortit les tablettes des voyageurs, comprimes d’albumines facilement assimilables, de sucres et d’antitoxines de la fatigue, melanges de vitamines, d’hormones et de stimulants du systeme nerveux. Veda, surexcitee, n’avait pas faim. Miika ne revint qu’au bout de quarante minutes : elle avait, parait-il, cede a la tentation de faire la radioscopie de quelques armoires pour avoir une idee de leur contenu.
La descendante des plongeuses japonaises remercia du regard son chef d’equipe et fut prete en un instant.
Les cables rouges et minces passaient au milieu du couloir. La lumiere mauve des couronnes de gaz posees sur la tete des deux femmes ne pouvait percer l’obscurite seculaire de la galerie qui descendait en pente de plus en plus raide. De grosses gouttes froides tombaient de la voute avec un bruit sourd et regulier. Des ruisseaux murmuraient dans les fissures. L’humidite penetrante entretenait dans le souterrain une atmosphere de sepulcre. On ne rencontre que dans les grottes ce silence absolu, auquel veille l’ecorce terrestre elle-meme, insensible, inerte. La-haut, si profond que soit le silence, on devine toujours une vie cachee, le mouvement de l’eau, de l’air ou de la lumiere.
Veda et sa compagne subissaient malgre elles l’emprise de la caverne qui les avait englouties, comme la tombe d’un passe mort qui ne revit que dans l’imagination.