bandes de clarte diffuse, s’etendant sur des milliers de kilometres. Des ouragans plus forts que les pires tempetes terrestres se demenaient dans les couches superieures de l’enveloppe aerienne. L’atmosphere saturee d’emanations du Soleil et du Cosmos continuait a melanger activement l’energie, entravant au plus haut point le contact entre le chantier et la planete.

Quelque chose se modifia soudain dans le monde perdu au sein des tenebres glacees. Dar Veter ne realisa pas tout de suite que c’etait le planetonef qui avait allume ses projecteurs. La nuit semblait encore plus noire, l’eclat violent des etoiles avait terni, mais la plate-forme et la carcasse ressor-taient nettement dans la vive clarte. L’instant d’apres, VAltai reduisit la tension, la lumiere baissa et devint jaune: le vaisseau economisait l’energie de ses accumulateurs. Au chantier ranime, les toles carrees et ovales du revetement, les treillis des fermes, les cylindres et les tuyaux des reservoirs evoluaient comme en plein jour, prenant peu a peu leur place sur le squelette du satellite.

Dar Veter trouva a tatons la poutre transversale, saisit les poignees a roulettes des cables faisant office de mains courantes, et s’elanca d’un coup de pied vers Y Altai. Parvenu devant la trappe de l’astronef, il serra les freins des poignees et s’arreta juste a temps pour ne pas heurter la porte close.

Dans la cabine de passage, on n’entretenait pas la pression terrestre normale, pour eviter les pertes d’air lors du va-et-vient des nombreux travailleurs. C’est pourquoi Dar Ve-ter penetra sans oter son scaphandre dans la cabine suivante construite provisoirement et y debrancha son casque et ses piles.

Degourdissant ses membres las, il suivait d’un pas ferme le pont interieur et savourait le retour a une pesanteur presque normale. La gravitation artificielle de l’astronef fonctionnait sans arret. Qu’il etait bon de se sentir un homme solidement campe sur le sol, et non un moucheron voltigeant dans le vide incertain ! La lumiere douce, l’air tiede et un fauteuil moelleux l’invitaient au repos absolu. Dar Veter savourait le plaisir de ses ancetres, qui l’avait etonne autrefois dans les vieux romans. C’etait bien ainsi que les gens revenus d’un long voyage a travers un desert froid, une foret humide ou des montagnes couvertes de glaciers entraient dans la demeure accueillante : maison, gourbi, yourte en feutre. La aussi, des murs minces separaient l’homme du grand Univers hostile, plein de dangers, et lui gardaient la chaleur et la lumiere dont il avait besoin pour reprendre des forces, en songeant a l’avenir ...

Dar Veter resista a la tentation du fauteuil et du livre. Il devait se mettre en liaison avec la Terre : l’eclairage allume en plein ciel pour toute la nuit risquait d’alarmer les observateurs1 qui surveillaient le chantier. En outre, il fallait prevenir que la releve se ferait avant terme.

Cette fois, le contact etait reussi : Dar Veter conversa avec Grom Orm non par les signaux codifies, mais par le videophone, tres puissant, comme a bord de tout vaisseau interplanetaire. L’ex-president se montra satisfait et s’occupa sur-le-champ de recruter un nouvel equipage et d’accelerer le transport des pieces.

Sorti du poste central de YAltai, Dar Veter traverse la bibliotheque qu’on avait amenagee en dortoir en installant deux rangs de couchettes le long des murs. Les cabines, les refectoires, la cuisine, les corridors lateraux et la salle des moteurs sont aussi meubles de lits supplementaires. L’astronef transforme en residence fixe est comble. Ouvrant et refermant d’un geste las les portes hermetiques, Dar Veter se traine dans le corridor carrele de matiere plastique brune, tiede au toucher.

Il songe aux astronautes qui passent des dizaines d’annees a l’interieur de vaisseaux pareils, sans le moindre espoir d’en sortir entre-temps. Il habite ici depuis pres de six mois, quittant chaque jour les locaux etroits pour travailler dans le vide interplanetaire. Et la Terre lui manque deja, avec ses steppes, ses mers, ses centres debordant de vie des zones habitees. Tandis qu’Erg Noor, Niza et vingt autres membres de l’equipage du Cygne devront rester dans l’astronef quatre-vingt-douze annees dependantes ou cent quarante ans terrestres, jusqu’au retour du vaisseau sur la planete natale. Aucun d’entre eux ne vivra jusque-la ! Leurs corps seront incineres et ensevelis dans les mondes infiniment lointains de l’etoile verte en zirconium ! ...

S’ils meurent en cours de route, leurs depouilles enfermees dans une fusee s’envoleront dans le Cosmos ... C’est ainsi que les barques funeraires de ses ancetres emportaient en haute mer les guerriers tombes au champ d’honneur ... Mais l’histoire de l’humanite n’a jamais connu de heros qui consentaient a la reclusion perpetuelle dans un vaisseau et quittaient le pays avec la certitude de ne plus revenir ... Non, il se trompe et Veda le lui reprocherait ! A-t-il donc oublie les champions anonymes de la dignite et de la liberte humaines, qui se vouaient a un destin encore plus terrible, a l’incarceration dans les oubliettes, aux pires tortures ? Ces heros de jadis avaient plus de merite que ses contemporains memes qui se preparaient a un vol glorieux dans le Cosmos, vers les mondes inexplores !

Et lui, Dar Veter, attache a sa planete, il etait si petit en comparaison d’eux et ne ressemblait nullement a un ange du ciel, comme l’appelait pour rire l’adorable Veda Kong !

CHAPITRE XIV LA PORTE D’ACIER

Le robot minier peina vingt jours dans l’obscurite humide jusqu’a ce qu’il eut deblaye les dizaines de milliers de tonnes de decombres et etaye les voutes effondrees. L’acces du fond de la caverne etait desormais ouvert. II ne restait plus qu’a en verifier la securite. Des chariots automatiques, mus par des chenilles et une vis d’Archimede, descendirent sans bruit. Les appareils indiquaient, tous les cent metres, la composition de l’air, la temperature et le degre d’humidite. Les chariots penetrerent a quatre cents metres de profondeur, en evitant les obstacles. Veda Kong entra ensuite avec son equipe dans la grotte mysterieuse. Quatre-vingt-dix ans auparavant, lors d’une prospection d’eaux souterraines parmi des calcaires et des gres absolument steriles, les indicateurs avaient decele soudain la presence d’une grande quantite de metal. On constata bientot que le site correspondait a la description de celui qui entourait la fameuse caverne antique de Denof-Koul, dont le nom signifiait « Refuge de la Culture » dans une langue disparue. Devant la menace d’une guerre terrible, les peuples qui s’estimaient les plus civilises avaient cache la des tresors de leur culture. Le secret et le mystere etaient tres eh usage a cette epoque.

En se laissant glisser sur l’argile rouge qui tapissait le sol de l’entree declive, Veda se sentait aussi emue que la plus jeune de ses collaboratrices.

Elle imaginait des salles grandioses, avec des coffres-forts remplis de films, d’epures et de cartes, des armoires contenant des bobines d’enregistrements magnetophoniques ou des bandes de machines mnemoniques, des rayonnages charges d’echantillons de composes chimiques, d’alliages et de medicaments ; des animaux empailles dans des vitrines etanches, des herbiers, des squelettes petrifies d’habitants disparus. Puis, elle se figurait des plaques en silicolle protegeant des peintures superbes, des statues des plus beaux representants de l’humanite, des bustes d’hommes celebres, des chefs-d’?uvre de sculpteurs animaliers ... Des maquettes d’edifices, des inscriptions commemoratives gravees sur la pierre et le metal ...

Veda penetra en songe dans une vaste caverne de plus de trois mille metres carres de superficie. Sa haute voute dont le sommet se perdait dans l’ombre se herissait de longs stalactites qui brillaient a la lumiere electrique ... La salle s’avera reellement grandiose. Confirmant les pensees de Veda, des machines et des armoires apparaissaient dans des niches. Les archeologues se disperserent dans la grotte avec des cris de joie. Beaucoup de machines qui gardaient encore, par places, l’eclat du verre et du vernis, etaient des equipages tres en faveur jadis et consideres a l’epoque du Monde Desuni comme le summum du genie technique. On construisait

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