— Dans le nord-ouest de Londres. Je ne suis jamais venu par la.

— Tu sais comment revenir?

— Oui. Ce n'est pas tres difficile. Mais j'aimerais bien savoir quel trajet nous avons suivi.

Et ils durent s'avouer incapables de repondre a cette question, pourtant capitale. A aucun moment, ils n'avaient fait attention a leur direction. Poursuivants, ils n'avaient songe qu'a coller a l'Austin, et, poursuivis, ils n'avaient eu qu'une idee: lui echapper. Bob proposa de manger quelques sandwiches dans le premier restaurant rencontre. Ils en trouverent un a leur convenance dans Hatfield, et se detendirent devant une table bien servie.

— Je n'en peux plus, declara Bob. J'ai souvent tenu le volant, mais en pleine campagne et sans jamais aller vite. Alors, tu penses!

Francois ne l'ecoutait que d'une oreille. Il se demandait s'il devait dire la verite. Mais ce serait accabler Miss Mary! Et, par ricochet, M. Skinner et Bob. La verite detruirait ce foyer sur le point d'etre reconstruit. Il n'avait pas le droit, lui, l'etranger, l'invite, de prendre une telle initiative. Et pourtant il etait en possession — et lui seul — de renseignements qui permettraient certainement a l'inspecteur Morrisson de remonter jusqu'au criminel.

— Tu n'as pas faim? dit Bob.

Non! Francois n'avait plus faim. Il sentait, pour la premiere fois, ce que c'est que la responsabilite.

— Moi, reprit Bob, voila ce que je propose: on la ferme! Premierement, j'ai conduit sans permis. Deuxiemement, nous avons repere la maison ou se cache le voleur, mais nous ne savons pas ou elle est; nous serions incapables de la retrouver. Troisiemement, tu es entre en cachette dans une propriete privee, ce qui est un delit puni par la loi. Quatriemement, nous avons ete la cause indirecte d'un accident… Si je comprends bien, nous n'avons pas cesse de faire des choses idiotes ou interdites, et nous ne sommes guere plus avances qu'avant. Alors, il vaut mieux la boucler. Tu vois la tete de Morrisson, si nous lui racontions tout ca!

— Mais… la mallette?

— Eh bien, laissons-la dans l'auto, au moins provisoirement. Je vais ramener la voiture au parking et le tour sera joue. Personne n'y pense plus, a la vieille Morris. La mallette sera en surete.

— Soit, dit Sans-Atout. Mais Miss Mary va m'interroger sur le Musee Tussaud.

— Eh bien, on va le visiter. On a le temps! Francois fut soulage de n'avoir pas de decision a prendre tout de suite, car il se sentait un peu perdu.

— Nous mentirons a peine, assura Bob. Et meme nous ne mentirons pas du tout!

N'empeche qu'il y avait un malfaiteur en liberte, qui pouvait encore nuire. Et cette idee ne cessa de tourmenter Francois tandis qu'ils revenaient vers Londres a une allure de corbillard pour eviter tout incident. La pluie continuait de les servir. Quand ils rangerent la voiture dans le parking de l'hopital, personne ne les remarqua. Les rares passants s'abritaient sous des parapluies. Toutes les silhouettes, pareillement enveloppees dans des impermeables, se ressemblaient. Bob enferma la petite valise dans la malle et ils sortirent sans encombre.

— Qu'est-ce qui lui est arrive, au juste, au type? dit Bob.

— Je n'ai pas bien vu. Il a ete heurte a l'arriere. Mais le virage etait serre. Nous n'allions pas tres vite. Quelques degats materiels, je pense.

— De sorte qu'on pourrait tres bien l'avoir encore dans les pattes?

— Peut-etre!

Francois n'osait pas aller jusqu'au bout de sa pensee, mais il etait evident que l'homme aux cheveux roux chercherait a reprendre cette mallette a laquelle il devait tellement tenir. Mais par quels moyens pourrait-il parvenir a ses fins?…

Il y avait foule, chez Mme Tussaud, et Francois oublia vite ses craintes. Les scenes de composition lui parurent tres amusantes. Gibet, bourreaux, criminels celebres, oubliettes, cachots, tout cela ne l'impressionnait guere. Il etait plus sensible aux eclairages savants et dramatiques, aux poses theatrales des mannequins. Le spectacle etait gentiment horrible et valait d'etre vu. Ce qui etait beaucoup plus original, c'etait la salle reservee a la Cour et aux personnages historiques. Francois fit connaissance avec la reine, le prince Philip, les hauts dignitaires, admira la tete, prodigieusement ressemblante, de Churchill. Un public respectueux faisait cercle en silence. Ici, le musee devenait eglise. Bob, blase, tira Francois par la manche et chuchota:

— Le Planetarium, ca t'interesse?

Ce serait encore une heure de gagnee avant d'affronter le probleme qui le rendait malade.

— Oui, j'aimerais.

Ils monterent au Planetarium, qui ressemblait a celui du Palais de la Decouverte a Paris. Meme architecture, meme poesie seche des constellations, et, a peu de chose pres, memes explications herissees de chiffres vertigineux. Bob baillait.

— Moi, les etoiles, dit-il, ca ne me touche pas beaucoup. Les vraies, on ne les voit pas souvent et, quand elles se montrent, je dors. En ce moment, je ferais bien un petit somme. Pas toi? Tu n'es pas fatigue?

Oh si! Francois etait rompu. Mais, surtout, il etait accable de tristesse. Miss Mary paraissait si nette, si incapable d'une mauvaise action! Et pourtant, elle etait la complice de l'homme a l'Austin. Et celui-ci etait l'ennemi de M. Skinner. Francois, s'il parlait, trahirait la jeune femme; et, s'il se taisait, il trahirait l'ingenieur. Dans tous les cas, il aurait le mauvais role. Restait une possibilite: rentrer en France. C'est-a-dire quitter la partie d'une maniere honteuse, en laissant le mensonge triompher. Cette fois, il trahirait Bob, en l'abandonnant. Que lui importaient la Voie Lactee, les annees-lumieres, et l'univers en expansion, puisqu'il demeurait prisonnier de la famille Skinner!

— Je suis comme toi, dit-il. Je n'en peux plus.

— Eh bien, rentrons.

Ils prirent un autobus, arriverent pour le the. Miss Mary etait la.

— Mais vous etes trempes! s'ecria-t-elle. Qu'est-ce que vous avez fait?

— On a marche un peu, expliqua Bob.

— Allez vite vous changer.

Pleine d'une sollicitude qui n'etait pas feinte. Souriante aussi. Tellement maitresse d'elle-meme! Et ce regard bleu, franc, direct, qui se livrait jusqu'au fond! Francois, le c?ur lourd, changea de chaussures, revetit un pantalon de flanelle et un pull bien chaud. Mais, avant de redescendre, il ouvrit son «cahier», hesita un moment. Il y avait tant de choses a noter! Finalement, il ecrivit le commentaire qui resumait le mieux sa pensee:

Je n'y comprends rien!

Il glissa le bloc au plus profond de l'armoire, sous ses chemises et ses mouchoirs.

Bob racontait la visite chez M' ' Tussaud. Lui aussi etait parfaitement naturel et, pour reprendre son mot favori: decontracte. A le voir beurrer ses toasts, qui aurait cru que, quelques heures plus tot, il roulait, dans la banlieue, poursuivi par un homme pret a tout…, le meme homme qui, la nuit precedente… Francois prit, d'une main qui tremblait un peu, la tasse offerte par Miss Mary.

— Quels sont vos projets pour demain? demanda-t-elle.

— Demain, repliqua Bob presque sechement, on opere papa… Alors, il n'y a pas de projets. Nous verrons… Si tout se passe bien, nous irons peut-etre au British Museum.

— Bob, dit doucement Miss Mary, croyez bien que je suis aussi anxieuse que vous. Mais raison de plus pour faire des projets, comme si la vie devait toujours nous obeir. C'est donc entendu. Vous irez au British Museum. C'est la meilleure facon d'assister votre pere, de lui prouver que vous etes confiant. Il a tant besoin qu'on lui donne confiance!

Une seconde, elle faillit perdre son sang-froid. Il y eut, au coin de sa bouche, un imperceptible tremblement. Ah! Savoir ce qui se cachait derriere ce masque de froide gentillesse! A coup sur, elle tremblait pour M. Skinner. Mais alors pourquoi livrait-elle, la nuit, ces objets absurdes a celui qui rodait dans les couloirs de l'hopital comme s'il preparait quelque nouvelle agression?

Chantage? L'idee de chantage s'imposait a Francois, bien qu'elle demeurat indefendable. Cependant, l'imminence de l'operation lui permettait de ne rien decider encore. En un sens, elle tombait bien, cette operation. Il ne parlerait qu'apres, s'il choisissait de partir. Aussi retrouva-t-il un peu d'entrain et etait-il pret a admirer les dessins de Bob, quand ce dernier l'emmena au grenier, en grand mystere.

Mais Francois fut sincerement etonne: autant qu'il pouvait en juger, Bob avait plus que des dispositions. Francois s'etait attendu a voir des croquis appliques, scolaires; et il etait en presence d'esquisses qui affirmaient un vrai talent de caricaturiste. En quelques traits, Bob avait silhouette de la maniere la plus amusante Mrs. Humphrey. Les lunettes relevees sur le haut de la tete, la bouche amere, l'?il reprobateur, la pauvre gouvernante etait plus

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