Elle travaille, et peut gagner dans son reduit,

En travaillant le jour, en travaillant la nuit,

Un peu de pain, un gite, une jupe de toile.

Le soir, elle regarde en revant quelque etoile,

Et chante au bord du toit tant que dure l’ete.

Mais l’hiver vient. Il fait bien froid, en verite,

Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe;

Les jours sont courts, il faut allumer une lampe;

L’huile est chere, le bois est cher, le pain est cher.

O jeunesse! printemps! aube! en proie a l’hiver!

La faim passe bientot sa griffe sous la porte,

Decroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte

Les meubles, prend enfin quelque humble bague d’or;

Tout est vendu! L’enfant travaille et lutte encor;

Elle est honnete; mais elle a, quand elle veille,

La misere, demon, qui lui parle a l’oreille.

L’ouvrage manque, helas! cela se voit souvent.

Que devenir! Un jour, o jour sombre! elle vend

La pauvre croix d’honneur de son vieux pere, et pleure;

Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu’elle meure!

A dix-sept ans! grand Dieu! mais que faire?… – Voila

Ce qui fait qu’un matin la douce fille alla

Droit au gouffre, et qu’enfin, a present, ce qui monte

A son front, ce n’est plus la pudeur, c’est la honte.

Helas! et maintenant, deuil et pleurs eternels!

C’est fini. Les enfants, ces innocents cruels,

La suivent dans la rue avec des cris de joie.

Malheureuse! elle traine une robe de soie,

Elle chante, elle rit… ah! pauvre ame aux abois!

Et le peuple severe, avec sa grande voix,

Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme,

Lui dit quand elle vient: «C’est toi? Va-t’en, infame!»

Un homme s’est fait riche en vendant a faux poids;

La loi le fait jure. L’hiver, dans les temps froids;

Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille.

Regardez cette salle ou le peuple fourmille;

Ce riche y vient juger ce pauvre. Ecoutez bien.

C’est juste, puisque l’un a tout et l’autre rien.

Ce juge, – ce marchand, – fache de perdre une heure,

Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure,

L’envoie au bagne, et part pour sa maison des champs.

Tous s’en vont en disant: «C’est bien!» bons et mechants;

Et rien ne reste la qu’un Christ pensif et pale,

Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.

Un homme de genie apparait. Il est doux,

Il est fort, il est grand; il est utile a tous;

Comme l’aube au-dessus de l’ocean qui roule,

Il dore d’un rayon tous les fronts de la foule;

Il luit; le jour qu’il jette est un jour eclatant;

Il apporte une idee au siecle qui l’attend;

Il fait son ?uvre; il veut des choses necessaires,

Agrandir les esprits, amoindrir les miseres;

Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont temoins,

Si l’on pense un peu plus, si l’on souffre un peu moins!

Il vient. – Certe, on le va couronner! – On le hue!

Scribes, savants, rheteurs, les salons, la cohue,

Ceux qui n’ignorent rien, ceux qui doutent de tout,

Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l’egout,

Tous hurlent a la fois et font un bruit sinistre.

Si c’est un orateur ou si c’est un ministre,

On le siffle. Si c’est un poete, il entend

Ce ch?ur: «Absurde! faux! monstrueux! revoltant!»

Lui, cependant, tandis qu’on bave sur sa palme,

Debout, les bras croises, le front leve, l’?il calme,

Il contemple, serein, l’ideal et le beau;

Il reve; et, par moments, il secoue un flambeau

Qui, sous ses pieds, dans l’ombre, eblouissant la haine,

Claire tout a coup le fond de l’ame humaine;

Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours;

Orateur, il entasse efforts, travaux, discours;

Il marche, il lutte! Helas! l’injure ardente et triste,

A chaque pas qu’il fait, se transforme et persiste.

Nul abri. Ce serait un ennemi public,

Un monstre fabuleux, dragon ou basilic,

Qu’il serait moins traque de toutes les manieres,

Moins entoure de gens armes de grosses pierres,

Moins hai! – Pour eux tous et pour ceux qui viendront,

Il va semant la gloire, il recueille l’affront.

Le progres est son but, le bien est sa boussole;

Pilote, sur l’avant du navire il s’isole;

Tout marin, pour dompter les vents et les courants,

Met tour a tour le cap sur des points differents,

Et, pour mieux arriver, devie en apparence;

Il fait de meme; aussi blame et cris; l’ignorance

Sait tout, denonce tout; il allait vers le nord,

Il avait tort; il va vers le sud, il a tort;

Si le temps devient noir, que de rage et de joie!

Cependant, sous le faix sa tete a la fin ploie,

L’age vient, il couvait un mal profond et lent,

Il meurt. L’envie alors, ce demon vigilant,

Accourt, le reconnait, lui ferme la paupiere,

Prend soin de le clouer de ses mains dans la biere,

Se penche, ecoute, epie en cette sombre nuit

S’il est vraiment bien mort, s’il ne fait pas de bruit,

S’il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,

Et, s’essuyant les yeux, dit: «C’etait un grand homme!»

Ou vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit?

Ces doux etres pensifs, que la fievre maigrit?

Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules?

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