Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules;
Ils vont, de l’aube au soir, faire eternellement
Dans la meme prison le meme mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mache on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrete et jamais on ne joue.
Aussi quelle paleur! la cendre est sur leur joue.
Il fait a peine jour, ils sont deja bien las.
Ils ne comprennent rien a leur destin, helas!
Ils semblent dire a Dieu: «Petits comme nous sommes,
Notre pere, voyez ce que nous font les hommes!»
O servitude infame imposee a l’enfant!
Rachitisme! travail dont le souffle etouffant
Defait ce qu’a fait Dieu; qui tue, ?uvre insensee,
La beaute sur les fronts, dans les c?urs la pensee,
Et qui ferait – c’est la son fruit le plus certain -
D’Apollon un bossu, de Voltaire un cretin!
Travail mauvais qui prend l’age tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en creant la misere,
Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil!
Progres dont on demande: «Ou va-t-il? que veut-il?»
Qui brise la jeunesse en fleur! qui donne, en somme,
Une ame a la machine et la retire a l’homme!
Que ce travail, hai des meres, soit maudit!
Maudit comme le vice ou l’on s’abatardit,
Maudit comme l’opprobre et comme le blaspheme!
O Dieu! qu’il soit maudit au nom du travail meme,
Au nom du vrai travail, saint, fecond, genereux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux!
Le pesant chariot porte une enorme pierre;
Le limonier, suant du mors a la croupiere,
Tire, et le roulier fouette, et le pave glissant
Monte, et le cheval triste a le poitrail en sang.
Il tire, traine, geint, tire encore et s’arrete;
Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tete;
C’est lundi; l’homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de fureur, de cris et de jurons;
Oh! quelle est donc la loi formidable qui livre
L’etre a l’etre, et la bete effaree a l’homme ivre!
L’animal eperdu ne peut plus faire un pas;
Il sent l’ombre sur lui peser; il ne sait pas,
Sous le bloc qui l’ecrase et le fouet qui l’assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l’homme.
Et le roulier n’est plus qu’un orage de coups
Tombant sur ce forcat qui traine les licous,
Qui souffre et ne connait ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le manche,
Et, si le fouet se casse, il frappe avec le pie;
Et le cheval, tremblant, hagard, estropie,
Baisse son cou lugubre et sa tete egaree;
On entend, sous les coups de la botte ferree,
Sonner le ventre nu du pauvre etre muet!
Il rale; tout a l’heure encore il remuait;
Mais il ne bouge plus, et sa force est finie;
Et les coups furieux pleuvent; son agonie
Tente un dernier effort; son pied fait un ecart,
Il tombe, et le voila brise sous le brancard;
Et, dans l’ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde Quelqu’un de sa prunelle trouble;
Et l’on voit lentement s’eteindre, humble et terni,
Son ?il plein des stupeurs sombres de l’infini,
Ou luit vaguement l’ame effrayante des choses.
Helas!
Cet avocat plaide toutes les causes;
Il rit des genereux qui desirent savoir
Si blanc n’a pas raison, avant de dire noir;
Calme, en sa conscience il met ce qu’il rencontre,
Ou le sac d’argent Pour, ou le sac d’argent Contre;
Le sac pese pour lui ce que la cause vaut.
Embusque, plume au poing, dans un journal devot,
Comme un bandit tuerait, cet ecrivain diffame.
La foule hait cet homme et proscrit cette femme;
Ils sont maudits. Quel est leur crime? Ils ont aime.
L’opinion rampante accable l’opprime,
Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse.
De l’inventeur mourant le parasite engraisse.
Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
Triche, et rit d’escroquer la dupe Devouement.
Le puissant resplendit et du destin se joue;
Derriere lui, tandis qu’il marche et fait la roue,
Sa fiente epanouie engendre son flatteur.
Les nains sont dedaigneux de toute leur hauteur.
O hideux coins de rue ou le chiffonnier morne
Va, tenant a la main sa lanterne de corne,
Vos tas d’ordures sont moins noirs que les vivants!
Qui, des vents ou des c?urs, est le plus sur? Les vents.
Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire;
Il a l’?il clair, le front gracieux, l’ame noire;
Il se courbe; il sera votre maitre demain.
Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin;
Ton feutre humble et troue s’ouvre a l’air qui le mouille;
Sous la pluie et le temps ton crane nu se rouille;
Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau;
Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau;
Ta cahute, au niveau du fosse de la route,
Offre son toit de mousse a la chevre qui broute;
Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir