Et ses yeux adoraient cette tete fragile,

Et, femme heureuse, et mere au regard triomphant,

Elle sentait son c?ur battre dans son enfant.

Un jour, – nous avons tous de ces dates funebres! -

Le croup, monstre hideux, epervier des tenebres,

Sur la blanche maison brusquement s’abattit,

Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,

Le saisit a la gorge; o noire maladie!

De l’air par qui l’on vit sinistre perfidie!

Qui n’a vu se debattre, helas! ces doux enfants

Qu’etreint le croup feroce en ses doigts etouffants!

Ils luttent; l’ombre emplit lentement leurs yeux d’ange,

Et de leur bouche froide il sort un rale etrange,

Et si mysterieux, qu’il semble qu’on entend,

Dans leur poitrine, ou meurt le souffle haletant,

L’affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.

Tel qu’un fruit qui du givre a senti la piqure,

L’enfant mourut. La mort entra comme un voleur

Et le prit. – Une mere; un pere, la douleur,

Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,

Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,

Oh! la parole expire ou commence le cri;

Silence aux mots humains!

La mere au c?ur meurtri,

Pendant qu’a ses cotes pleurait le pere sombre,

Resta trois mois sinistre, immobile dans l’ombre,

L’?il fixe, murmurant on ne sait quoi d’obscur,

Et regardant toujours le meme angle du mur.

Elle ne mangeait pas; sa vie etait sa fievre;

Elle ne repondait a personne; sa levre

Tremblait; on l’entendait, avec un morne effroi,

Qui disait a voix basse a quelqu’un: – Rends-le-moi! -

Et le medecin dit au pere: – Il faut distraire

Ce c?ur triste, et donner a l’enfant mort un frere. -

Le temps passa; les jours, les semaines, les mois.

Elle se sentit mere une seconde fois.

Devant le berceau froid de son ange ephemere,

Se rappelant l’accent dont il disait: – Ma mere, -

Elle songeait, muette, assise sur son lit.

Le jour ou, tout a coup, dans son flanc tressaillit

L’etre inconnu promis a notre aube mortelle,

Elle palit. – Quel est cet etranger? dit-elle.

Puis elle cria, sombre et tombant a genoux:

– Non, non, je ne veux pas! non! tu serais jaloux!

O mon doux endormi, toi que la terre glace,

Tu dirais: «On m’oublie; un autre a pris ma place;

«Ma mere l’aime, et rit; elle le trouve beau,

«Elle l’embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau!»

Non, non! -

Ainsi pleurait cette douleur profonde.

Le jour vint; elle mit un autre enfant au monde,

Et le pere joyeux cria: – C’est un garcon.

Mais le pere etait seul joyeux dans la maison;

La mere restait morne, et la pale accouchee,

Sur l’ancien souvenir tout entiere penchee,

Revait; on lui porta l’enfant sur un coussin;

Elle se laissa faire et lui donna le sein;

Et tout a coup, pendant que, farouche, accablee,

Pensant au fils nouveau moins qu’a l’ame envolee,

Helas! et songeant moins aux langes qu’au linceul,

Elle disait: – Cet ange en son sepulcre est seul!

– O doux miracle! o mere au bonheur revenue! -

Elle entendit, avec une voix bien connue,

Le nouveau-ne parler dans l’ombre entre ses bras,

Et tout bas murmurer: – C’est moi. Ne le dis pas.

Aout 1843.

XXIV. Aux arbres

Arbres de la foret, vous connaissez mon ame!

Au gre des envieux la foule loue et blame;

Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,

Seul dans vos profondeurs, regardant et revant.

Vous le savez, la pierre ou court un scarabee,

Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombee,

Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.

La contemplation m’emplit le c?ur d’amour.

Vous m’avez vu cent fois, dans la vallee obscure,

Avec ces mots que dit l’esprit a la nature,

Questionner tout bas vos rameaux palpitants,

Et du meme regard poursuivre en meme temps,

Pensif, le front baisse, l’?il dans l’herbe profonde,

L’etude d’un atome et l’etude du monde.

Attentif a vos bruits qui parlent tous un peu,

Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!

Feuilles qui tressaillez a la pointe des branches,

Nids dont le vent au loin seme les plumes blanches,

Clairieres, vallons verts, deserts sombres et doux,

Vous savez que je suis calme et pur comme vous.

Comme au ciel vos parfums, mon culte a Dieu s’elance,

Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!

La haine sur mon nom repand en vain son fiel;

Toujours, – je vous atteste, o bois aimes du ciel! -

J’ai chasse loin de moi toute pensee amere,

Et mon c?ur est encor tel que le fit ma mere!

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,

Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,

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