Ravins ou l’on entend filtrer les sources vives,

Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!

Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,

Dans tout ce qui m’entoure et me cache a la fois,

Dans votre solitude ou je rentre en moi-meme,

Je sens quelqu’un de grand qui m’ecoute et qui m’aime!

Aussi, taillis sacres ou Dieu meme apparait,

Arbres religieux, chenes, mousses, foret,

Foret! c’est dans votre ombre et dans votre mystere,

C’est sous votre branchage auguste et solitaire,

Que je veux abriter mon sepulcre ignore,

Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Juin 1843.

XXV .

L’enfant, voyant l’aieule a filer occupee,

Veut faire une quenouille a sa grande poupee.

L’aieule s’assoupit un peu; c’est le moment.

L’enfant vient par derriere et tire doucement

Un brin de la quenouille ou le fuseau tournoie,

Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie

La belle laine d’or que le safran jaunit,

Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid.

Cauteretz, aout 1843.

XXVI. Joies du soir

Le soleil, dans les monts ou sa clarte s’etale,

Ajuste a son arc d’or sa fleche horizontale;

Les hauts taillis sont pleins de biches et de faons;

La rit dans les rochers, veines comme des marbres,

Une chaumiere heureuse; en haut, un bouquet d’arbres;

Au-dessous, un bouquet d’enfants.

C’est l’instant de songer aux choses redoutables.

On entend les buveurs danser autour des tables;

– Tandis que, gais, joyeux, heurtant les escabeaux,

Ils melent aux refrains leurs amours peu farouches,

Les lettres des chansons qui sortent de leurs bouches

Vont ecrire autour d’eux leurs noms sur leurs tombeaux.

– Mourir! demandons-nous, a toute heure, en nous-meme:

– Comment passerons-nous le passage supreme? -

Finir avec grandeur est un illustre effort.

Le moment est lugubre et l’ame est accablee;

Quel pas que la sortie! – Oh! l’affreuse vallee

Que l’embuscade de la mort!

Quel frisson dans les os de l’agonisant bleme!

Autour de lui tout marche et vit, tout rit, tout aime;

La fleur luit, l’oiseau chante en son palais d’ete,

Tandis que le mourant, en qui decroit la flamme,

Fremit sous ce grand ciel, precipice de l’ame,

Abime effrayant d’ombre et de tranquillite!

Souvent, me rappelant le front etrange et pale

De tous ceux que j’ai vus a cette heure fatale,

Etres qui ne sont plus, freres, amis, parents,

Aux instants ou l’esprit a rever se hasarde,

Souvent je me suis dit: Qu’est-ce donc qu’il regarde

Cet ?il effare des mourants?

Que voit-il?… – O terreur! de tenebreuses routes,

Un chaos compose de spectres et de doutes,

La terre vision, le ver realite,

Un jour oblique et noir qui, troublant l’ame errante,

Mele au dernier rayon de la vie expirante

Ta premiere lueur, sinistre eternite!

On croit sentir dans l’ombre une horrible piqure.

Tout ce qu’on fit s’en va comme une fete obscure,

Et tout ce qui riait devient peine ou remord.

Quel moment, meme, helas! pour l’ame la plus haute,

Quand le vrai tout a coup parait, quand la vie ote

Son masque, et dit: «Je suis la mort!»

Ah! si tu fais trembler meme un c?ur sans reproche,

Sepulcre! le mechant avec horreur t’approche.

Ton seuil profond lui semble une rougeur de feu;

Sur ton vide pour lui quand ta pierre se leve,

Il s’y penche; il y voit, ainsi que dans un reve,

La face vague et sombre et l’?il fixe de Dieu.

Biarritz, juillet 1843.

XXVII .

J’aime l’araignee et j’aime l’ortie,

Parce qu’on les hait;

Et que rien n’exauce et que tout chatie

Leur morne souhait;

Parce qu’elles sont maudites, chetives,

Noirs etres rampants;

Parce qu’elles sont les tristes captives

De leur guet-apens;

Parce qu’elles sont prises dans leur ?uvre;

O sort! fatals n?uds!

Parce que l’ortie est une couleuvre,

L’araignee un gueux;

Parce qu’elles ont l’ombre des abimes,

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