Elle apparait, s’en va, decroit, palit, s’efface,
Et rentre, atome obscur, aux cieux d’ombre couverts,
Et tout s’evanouit, vaste aspect, bruit sublime… -
Quel est ce projectile inoui de l’abime?
O boulets monstrueux qui sont des univers!
Dans un eloignement nocturne,
Roule avec un rale effrayant
Quelque epouvantable Saturne
Tournant son anneau flamboyant;
La braise en pleut comme d’un crible;
Jean de Patmos, l’esprit terrible,
Vit en songe cet astre horrible
Et tomba presque evanoui;
Car, revant sa noire epopee,
Il crut, d’eclairs enveloppee,
Voir fuir une roue, echappee
Au sombre char d’Adonai!
Et, par instants encor, – tout va-t-il se dissoudre? -
Parmi ces mondes, fauve, accourant a grand bruit,
Une comete aux crins de flamme, aux yeux de foudre,
Surgit, et les regarde, et, bleme, approche et luit;
Puis s’evade en hurlant, pale et surnaturelle,
Trainant sa chevelure eparse derriere elle,
Comme une Canidie affreuse qui s’enfuit.
Quelques-uns de ces globes meurent;
Dans le semoun et le mistral
Leurs mers sanglotent, leurs flots pleurent;
Leur flanc crache un brasier central.
Spheres par la neige engourdies,
Ils ont d’etranges maladies,
Pestes, deluges, incendies,
Tremblements profonds et frequents;
Leur propre abime les consume;
Leur haleine flamboie et fume;
On entend de loin dans leur brume
La toux lugubre des volcans.
Ils sont! ils vont! ceux-ci brillants, ceux-la difformes,
Tous portant des vivants et des creations!
Ils jettent dans l’azur des cones d’ombre enormes,
Tenebres qui des cieux traversent les rayons,
Ou le regard, ainsi que des flambeaux farouches
L’un apres l’autre eteints par d’invisibles bouches,
Voit plonger tour a tour les constellations!
Quel Zorobabel formidable,
Quel Dedale vertigineux,
Cieux! a bati dans l’insondable
Tout ce noir chaos lumineux?
Soleils, astres aux larges queues,
Gouffres! o millions de lieues!
Sombres architectures bleues!
Quel bras a fait, cree, produit
Ces tours d’or que nuls yeux ne comptent,
Ces firmaments qui se confrontent,
Ces Babels d’etoiles qui montent
Dans ces Babylones de nuit?
Qui, dans l’ombre vivante et l’aube sepulcrale,
Qui, dans l’horreur fatale et dans l’amour profond,
A tordu ta splendide et sinistre spirale,
Ciel, ou les univers se font et se defont?
Un double precipice a la fois les reclame.
«Immensite!» dit l’etre. «Eternite!» dit l’ame.
A jamais! le sans fin roule dans le sans fond.
L’Inconnu, celui dont maint sage
Dans la brume obscure a doute,
L’immobile et muet visage,
Le voile de l’eternite,
A, pour montrer son ombre au crime,
Sa flamme au juste magnanime,
Jete pele-mele a l’abime
Tous ses masques, noirs ou vermeils;
Dans les ethers inaccessibles,
Ils flottent, caches ou visibles;
Et ce sont ces masques terribles
Que nous appelons les soleils!
Et les peuples ont vu passer dans les tenebres
Ces spectres de la nuit que nul ne penetra;
Et flamines, santons, brahmanes, mages, guebres,
Ont crie: Jupiter! Allah! Vishnou! Mithra!
Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs supremes,
Tous ces masques hagards s’effaceront d’eux-memes;
Alors, la face immense et calme apparaitra!
Enfant! l’autre de ces deux mondes,
C’est le c?ur d’un homme! – parfois,
Comme une perle au fond des ondes,
Dieu cache une ame au fond des bois.
Dieu cache un homme sous les chenes;
Et le sacre en d’austeres lieux
Avec le silence des plaines,