Aujourd’hui, l’on ne sait plus meme
Qui monta le plus de degres
Des Zoroastres au front bleme
Ou des Abrahams effares.
Et, quand nos yeux, qui les admirent,
Veulent mesurer leur chemin,
Et savoir quels sont ceux qui mirent
Le plus de jour dans l’?il humain,
Du noir passe percant les voiles,
Notre esprit flotte sans repos
Entre tous ces compteurs d’etoiles
Et tous ces compteurs de troupeaux.
Dans nos temps, ou l’aube enfin dore
Les bords du terrestre ravin,
Le reve humain s’approche encore
Plus pres de l’ideal divin.
L’homme que la brume enveloppe,
Dans le ciel que Jesus ouvrit,
Comme a travers un telescope
Regarde a travers son esprit.
L’ame humaine, apres le Calvaire,
A plus d’ampleur et de rayon;
Le grossissement de ce verre
Grandit encor la vision.
La solitude venerable
Mene aujourd’hui l’homme sacre
Plus avant dans l’impenetrable,
Plus loin dans le demesure.
Oui, si dans l’homme, que le nombre
Et le temps trompent tour a tour,
La foule degorge de l’ombre,
La solitude fait le jour.
Le desert au ciel nous convie.
O seuil de l’azur! l’homme seul,
Vivant qui voit hors de la vie,
Leve d’avance son linceul.
Il parle aux voix que Dieu fit taire,
Melant sur son front pastoral
Aux lueurs troubles de la terre
Le serein rayon sepulcral.
Dans le desert, l’esprit qui pense
Subit par degres sous les cieux
La dilatation immense
De l’infini mysterieux.
Il plonge au fond. Calme, il savoure
Le reel, le vrai, l’element.
Toute la grandeur qui l’entoure
Le penetre confusement.
Sans qu’il s’en doute, il va, se dompte,
Marche, et, grandissant en raison,
Croit comme l’herbe aux champs, et monte
Comme l’aurore a l’horizon.
Il voit, il adore, il s’effare;
Il entend le clairon du ciel,
Et l’universelle fanfare
Dans le silence universel.
Avec ses fleurs au pur calice,
Avec sa mer pleine de deuil,
Qui donne un baiser de complice
A l’apre bouche de l’ecueil,
Avec sa plaine, vaste bible,
Son mont noir, son brouillard fuyant,
Regards du visage invisible,
Syllabes du mot flamboyant;
Avec sa paix, avec son trouble,
Son bois voile, son rocher nu,
Avec son echo qui redouble
Toutes les voix de l’inconnu,
La solitude eclaire, enflamme,
Attire l’homme aux grands aimants,
Et lentement compose une ame
De tous les eblouissements!
L’homme en son sein palpite et vibre,
Ouvrant son aile, ouvrant ses yeux,
Etrange oiseau d’autant plus libre
Que le mystere le tient mieux.
Il sent croitre en lui, d’heure en heure,
L’humble foi, l’amour recueilli,
Et la memoire anterieure
Qui le remplit d’un vaste oubli.
Il a des soifs inassouvies;
Dans son passe vertigineux,
Il sent revivre d’autres vies;
De son ame il compte les n?uds.
Il cherche au fond des sombres domes
Sous quelles formes il a lui;
Il entend ses propres fantomes
Qui lui parlent derriere lui.
Il sent que l’humaine aventure
N’est rien qu’une apparition;
Il se dit: – Chaque creature
Est toute la creation.
Il se dit: – Mourir, c’est connaitre;
Nous cherchons l’issue a tatons.
J’etais, je suis, et je dois etre.
L’ombre est une echelle. Montons. -