L’ombre des monts, l’azur des cieux!
O ma fille! avec son mystere
Le soir envahit pas a pas
L’esprit d’un pretre involontaire,
Pres de ce feu qui luit la-bas!
Cet homme, dans quelque ruine,
Avec la ronce et le lezard,
Vit sous la brume et la bruine,
Fruit tombe de l’arbre hasard!
Il est devenu presque fauve;
Son baton est son seul appui.
En le voyant, l’homme se sauve;
La bete seule vient a lui.
Il est l’etre crepusculaire.
On a peur de l’apercevoir;
Patre tant que le jour l’eclaire,
Fantome des que vient le soir.
La faneuse dans la clairiere
Le voit quand il fait, par moment,
Comme une ombre hors de sa biere,
Un pas hors de l’isolement.
Son vetement dans ces decombres,
C’est un sac de cendre et de deuil,
Linceul troue par les clous sombres
De la misere, ce cercueil.
Le pommier lui jette ses pommes;
Il vit dans l’ombre enseveli;
C’est un pauvre homme loin des hommes,
C’est un habitant de l’oubli;
C’est un indigent sous la bure,
Un vieux front de la pauvrete,
Un haillon dans une masure,
Un esprit dans l’immensite!
Dans la nature transparente,
C’est l’?il des regards ingenus,
Un penseur a l’ame ignorante,
Un grave marcheur aux pieds nus!
Oui, c’est un c?ur, une prunelle,
C’est un souffrant, c’est un songeur,
Sur qui la lueur eternelle
Fait trembler sa vague rougeur.
Il est la, l’ame aux cieux ravie,
Et, pres d’un branchage enflamme,
Pense, lui-meme par la vie
Tison a demi consume.
Il est calme en cette ombre epaisse;
Il aura bien toujours un peu
D’herbe pour que son betail paisse,
De bois pour attiser son feu.
Nos luttes, nos chocs, nos desastres,
Il les ignore; il ne veut rien
Que, la nuit, le regard des astres,
Le jour, le regard de son chien.
Son troupeau git sur l’herbe unie;
Il est la, lui, pasteur, ami,
Seul eveille, comme un genie
A cote d’un peuple endormi.
Ses brebis, d’un rien remuees,
Ouvrant l’?il pres du feu qui luit,
Apercoivent sous les nuees
Sa forme droite dans la nuit;
Et, bouc qui bele, agneau qui danse,
Dorment dans les bois hasardeux
Sous ce grand spectre Providence
Qu’ils sentent debout aupres d’eux.
Le patre songe, solitaire,
Pauvre et nu, mangeant son pain bis;
Il ne connait rien de la terre
Que ce que broute la brebis.
Pourtant, il sait que l’homme souffre;
Mais il sonde l’ether profond.
Toute solitude est un gouffre,
Toute solitude est un mont.
Des qu’il est debout sur ce faite,
Le ciel reprend cet etranger;
La Judee avait le prophete,
La Chaldee avait le berger.
Ils tataient le ciel l’un et l’autre;
Et, plus tard, sous le feu divin,
Du prophete naquit l’apotre,
Du patre naquit le devin.
La foule raillait leur demence;
Et l’homme dut, aux jours passes,
A ces ignorants la science,
La sagesse a ces insenses.
La nuit voyait, temoin austere,
Se rencontrer sur les hauteurs,
Face a face dans le mystere,
Les prophetes et les pasteurs.
– Ou marchez-vous, tremblants prophetes?
– Ou courez-vous, patres troubles?
Ainsi parlaient ces sombres tetes,
Et l’ombre leur criait: Allez!