Seul, toujours seul, l’ete, l’automne;

Front sans remords et sans effroi

A qui le nuage qui tonne

Dit tout bas: Ce n’est pas pour toi!

Oubliant dans ces grandes choses

Les trous de ses pauvres habits,

Comparant la douceur des roses

A la douceur de la brebis,

Sondant l’etre, la loi fatale;

L’amour, la mort, la fleur, le fruit;

Voyant l’aureole ideale

Sortir de toute cette nuit,

Il sent, faisant passer le monde

Par sa pensee a chaque instant,

Dans cette obscurite profonde

Son ?il devenir eclatant;

Et, depassant la creature,

Montant toujours, toujours accru,

Il regarde tant la nature,

Que la nature a disparu!

Car, des effets allant aux causes,

L’?il perce et franchit le miroir,

Enfant; et contempler les choses,

C’est finir par ne plus les voir.

La matiere tombe detruite

Devant l’esprit aux yeux de lynx;

Voir, c’est rejeter; la poursuite

De l’enigme est l’oubli du sphynx.

Il ne voit plus le ver qui rampe,

La feuille morte emue au vent,

Le pre, la source ou l’oiseau trempe

Son petit pied rose en buvant;

Ni l’araignee, hydre etoilee,

Au centre du mal se tenant,

Ni l’abeille, lumiere ailee,

Ni la fleur, parfum rayonnant;

Ni l’arbre ou sur l’ecorce dure

L’amant grave un chiffre d’un jour,

Que les ans font croitre a mesure

Qu’ils font decroitre son amour.

Il ne voit plus la vigne mure,

La ville, large toit fumant,

Ni la campagne, ce murmure,

Ni la mer, ce rugissement;

Ni l’aube dorant les prairies,

Ni le couchant aux longs rayons,

Ni tous ces tas de pierreries

Qu’on nomme constellations,

Que l’ether de son ombre couvre,

Et qu’entrevoit notre ?il terni

Quand la nuit curieuse entr’ouvre

Le sombre ecrin de l’infini;

Il ne voit plus Saturne pale,

Mars ecarlate, Arcturus bleu,

Sirius, couronne d’opale,

Aldebaran, turban de feu;

Ni les mondes, esquifs sans voiles,

Ni, dans le grand ciel sans milieu,

Toute cette cendre d’etoiles;

Il voit l’astre unique; il voit Dieu!

*

Il le regarde, il le contemple;

Vision que rien n’interrompt!

Il devient tombe, il devient temple,

Le mystere flambe a son front.

?il serein dans l’ombre ondoyante,

Il a conquis, il a compris,

Il aime; il est l’ame voyante

Parmi nos tenebreux esprits.

Il marche, heureux et plein d’aurore,

De plain-pied avec l’element;

Il croit, il accepte. Il ignore

Le doute, notre escarpement;

Le doute, qu’entourent les vides,

Bord que nul ne peut enjamber,

Ou nous nous arretons stupides,

Disant: Avancer, c’est tomber!

Le doute, roche ou nos pensees

Errent loin du pre qui fleurit,

Ou vont et viennent, dispersees,

Toutes ces chevres de l’esprit!

Quand Hobbes dit: «Quelle est la base?»

Quand Locke dit: «Quelle est la loi?»

Que font a sa splendide extase

Ces dialogues de l’effroi?

Qu’importe a cet anachorete

De la caverne Verite,

L’homme qui dans l’homme s’arrete,

La nuit qui croit a sa clarte?

Que lui fait la philosophie,

Calcul, algebre, orgueil puni,

Que sur les cimes petrifie

L’effarement de l’infini!

Lueurs que couvre la fumee!

Sciences disant: Que sait-on?

Qui, de l’aveugle Ptolemee,

Montent au myope Newton!

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