Que lui font les choses bornees,
Grands, petits, couronnes, carcans?
L’ombre qui sort des cheminees
Vaut l’ombre qui sort des volcans.
Que lui font la larve et la cendre,
Et, dans les tourbillons mouvants,
Toutes les formes que peut prendre
L’obscur nuage des vivants?
Que lui fait l’assurance triste
Des creatures dans leurs nuits?
La terre s’ecriant: J’existe!
Le soleil repliquant: Je suis!
Quand le spectre, dans le mystere,
S’affirme a l’apparition,
Qu’importe a cet ?il solitaire
Qui s’eblouit du seul rayon?
Que lui fait l’astre, autel et pretre
De sa propre religion,
Qui dit: Rien hors de moi! – quand l’etre
Se nomme Gouffre et Legion!
Que lui font, sur son sacre faite,
Les dementis audacieux
Que donne aux soleils la comete,
Cette heresiarque des cieux?
Que lui fait le temps, cette brume?
L’espace, cette illusion?
Que lui fait l’eternelle ecume
De l’ocean Creation?
Il boit, hors de l’inabordable,
Du surhumain, du sideral,
Les delices du formidable,
L’apre ivresse de l’ideal;
Son etre, dont rien ne surnage,
S’engloutit dans le gouffre bleu;
Il fait ce sublime naufrage;
Et, murmurant sans cesse: – Dieu, -
Parmi les feuillages farouches,
Il songe, l’ame et l’?il la-haut,
A l’imbecillite des bouches
Qui prononcent un autre mot!
Il le voit, ce soleil unique,
Fecondant, travaillant, creant,
Par le rayon qu’il communique
Egalant l’atome au geant,
Semant de feux, de souffles, d’ondes,
Les tourbillons d’obscurite,
Emplissant d’etincelles mondes
L’epouvantable immensite;
Remuant, dans l’ombre et les brumes,
De sombres forces dans les cieux
Qui font comme des bruits d’enclumes
Sous des marteaux mysterieux,
Doux pour le nid du rouge-gorge,
Terrible aux satans qu’il detruit;
Et, comme aux lueurs d’une forge,
Un mur s’eclaire dans la nuit,
On distingue en l’ombre ou nous sommes,
On reconnait dans ce bas lieu,
A sa clarte parmi les hommes,
L’ame qui reverbere Dieu!
Et ce patre devient auguste;
Jusqu’a l’aureole monte,
Etant le sage, il est le juste;
O ma fille, cette clarte
S?ur du grand flambeau des genies,
Faite de tous les rayons purs
Et de toutes les harmonies
Qui flottent dans tous les azurs,
Plus belle dans une chaumiere,
Eclairant hier par demain,
Cette eblouissante lumiere,
Cette blancheur du c?ur humain
S’appelle en ce monde, ou l’honnete
Et le vrai des vents est battu,
Innocence avant la tempete,
Apres la tempete vertu!
Voila donc ce que fait la solitude a l’homme;
Elle lui montre Dieu, le devoile et le nomme;
Sacre l’obscurite,
Penetre de splendeur le patre qui s’y plonge,
Et, dans les profondeurs de son immense songe.
T’allume, o verite!
Elle emplit l’ignorant de la science enorme;
Ce que le cedre voit, ce que devine l’orme,
Ce que le chene sent,
Dieu, l’etre, l’infini, l’eternite, l’abime,
Dans l’ombre elle le mele a la candeur sublime
D’un patre fremissant.
L’homme n’est qu’une lampe, elle en fait une etoile.
Et ce patre devient, sous son haillon de toile,
Un mage; et, par moments,
Aux fleurs, parfums du temple, aux arbres, noirs pilastres,
Apparait couronne d’une tiare d’astres,