Sur toutes les clartes que la raison nous donne,

Par vous, par vos pareils, – et je vous le pardonne,

Marquis, – j’avais ete tout de travers place.

J’etais en porte-a-faux, je me suis redresse.

La pensee est le droit severe de la vie.

Dieu prend par la main l’homme enfant, et le convie

A la classe qu’au fond des champs, au sein des bois,

Il fait dans l’ombre a tous les etres a la fois.

J’ai pense. J’ai reve pres des flots, dans les herbes,

Et les premiers courroux de mes odes imberbes

Sont d’eux-meme en marchant tombes derriere moi.

La nature devint ma joie et mon effroi;

Oui, dans le meme temps ou vous faussiez ma lyre,

Marquis, je m’echappais et j’apprenais a lire

Dans cet hieroglyphe enorme: l’univers.

Oui, j’allais feuilleter les champs tout grands ouverts;

Tout enfant, j’essayais d’epeler cette bible

Ou se mele, eperdu, le charmant au terrible;

Livre ecrit dans l’azur, sur l’onde et le chemin,

Avec la fleur, le vent, l’etoile; et qu’en sa main

Tient la creation au regard de statue;

Prodigieux poeme ou la foudre accentue

La nuit, ou l’ocean souligne l’infini.

Aux champs, entre les bras du grand chene beni,

J’etais plus fort, j’etais plus doux, j’etais plus libre;

Je me mettais avec le monde en equilibre;

Je tachais de savoir, tremblant, pale, ebloui,

Si c’est Non que dit l’ombre a l’astre qui dit Oui;

Je cherchais a saisir le sens des phrases sombres

Qu’ecrivaient sous mes yeux les formes et les nombres;

J’ai vu partout grandeur, vie, amour, liberte;

Et j’ai dit: – Texte: Dieu; contre-sens: royaute. -

La nature est un drame avec des personnages:

J’y vivais; j’ecoutais, comme des temoignages,

L’oiseau, le lys, l’eau vive et la nuit qui tombait.

Puis je me suis penche sur l’homme, autre alphabet.

Le mal m’est apparu, puissant, joyeux, robuste,

Triomphant; je n’avais qu’une soif: etre juste;

Comme on arrete un gueux volant sur le chemin,

Justicier indigne, j’ai pris le c?ur humain

Au collet, et j’ai dit: Pourquoi le fiel, l’envie,

La haine? Et j’ai vide les poches de la vie.

Je n’ai trouve dedans que deuil, misere, ennui.

J’ai vu le loup mangeant l’agneau, dire: Il m’a nui!

Le vrai boitant; l’erreur haute de cent coudees;

Tous les cailloux jetes a toutes les idees.

Helas! j’ai vu la nuit reine, et, de fers charges,

Christ, Socrate, Jean Huss, Colomb; les prejuges

Sont pareils aux buissons que dans la solitude

On brise pour passer: toute la multitude

Se redresse et vous mord pendant qu’on en courbe un.

Ah! malheur a l’apotre et malheur au tribun!

On avait eu bien soin de me cacher l’histoire;

J’ai lu; j’ai compare l’aube avec la nuit noire

Et les quatre-vingt-treize aux Saint-Barthelemy;

Car ce quatre-vingt-treize ou vous avez fremi,

Qui dut etre, et que rien ne peut plus faire eclore,

C’est la lueur de sang qui se mele a l’aurore.

Les Revolutions, qui viennent tout venger,

Font un bien eternel dans leur mal passager.

Les Revolutions ne sont que la formule

De l’horreur qui, pendant vingt regnes s’accumule.

Quand la souffrance a pris de lugubres ampleurs;

Quand les maitres longtemps ont fait, sur l’homme en pleurs,

Tourner le Bas-Empire avec le Moyen Age,

Du midi dans le nord formidable engrenage;

Quand l’histoire n’est plus qu’un tas noir de tombeaux,

De Crecys, de Rosbachs, becquetes des corbeaux;

Quand le pied des mechants regne et courbe la tete

Du pauvre partageant dans l’auge avec la bete;

Lorsqu’on voit aux deux bouts de l’affreuse Babel

Louis Onze et Tristan, Louis Quinze et Lebel;

Quand le harem est prince et l’echafaud ministre;

Quand toute chair gemit; quand la lune sinistre

Trouve qu’assez longtemps l’herbe humaine a flechi,

Et qu’assez d’ossements aux gibets ont blanchi;

Quand le sang de Jesus tombe en vain, goutte a goutte,

Depuis dix-huit cents ans, dans l’ombre qui l’ecoute;

Quand l’ignorance a meme aveugle l’avenir;

Quand, ne pouvant plus rien saisir et rien tenir,

L’esperance n’est plus que le troncon de l’homme;

Quand partout le supplice a la fois se consomme,

Quand la guerre est partout, quand la haine est partout,

Alors, subitement, un jour, debout, debout!

Les reclamations de l’ombre miserable,

La geante douleur, spectre incommensurable,

Sortent du gouffre; un cri s’entend sur les hauteurs;

Les mondes sociaux heurtent leurs equateurs;

Tout le bagne effrayant des parias se leve;

Et l’on entend sonner les fouets, les fers, le glaive,

Le meurtre, le sanglot, la faim, le hurlement,

Tout le bruit du passe, dans ce dechainement!

Dieu dit au peuple: Va! l’ardent tocsin qui rale,

Secoue avec sa corde obscure et sepulcrale

L’eglise et son clocher, le Louvre et son beffroi;

Luther brise le pape et Mirabeau le roi!

Tout est dit. C’est ainsi que les vieux mondes croulent.

Oh! l’heure vient toujours! des flots sourds au loin roulent.

A travers les rumeurs, les cadavres, les deuils,

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