«Je te donne, sans bruit ni gloire,
Ce qui te manque, o vaste mer!
Une goutte d’eau qu’on peut boire.»
Avril 1854.
V. A mademoiselle Louise B.
O vous l’ame profonde! o vous la sainte lyre!
Vous souvient-il des temps d’extase et de delire,
Et des jeux triomphants,
Et du soir qui tombait des collines prochaines?
Vous souvient-il des jours? vous souvient-il des chenes
Et des petits enfants?
Et vous rappelez-vous les amis, et la table,
Et le rire eclatant du pere respectable,
Et nos cris querelleurs,
Le pre, l’etang, la barque, et la lune, et la brise,
Et les chants qui sortaient de votre c?ur, Louise,
En attendant les pleurs!
Le parc avait des fleurs et n’avait pas de marbres.
Oh! comme il etait beau, le vieillard, sous les arbres!
Je le voyais parfois
Des l’aube sur un banc s’asseoir tenant un livre;
Je sentais, j’entendais l’ombre autour de lui vivre
Et chanter dans les bois!
Il lisait, puis dormait au baiser de l’aurore;
Et je le regardais dormir, plus calme encore
Que ce paisible lieu,
Avec son front serein d’ou sortait une flamme,
Son livre ouvert devant le soleil, et son ame
Ouverte devant Dieu!
Et du fond de leur nid, sous l’orme et sous l’erable,
Les oiseaux admiraient sa tete venerable,
Et, gais chanteurs tremblants,
Ils guettaient, s’approchaient, et souhaitaient dans l’ombre
D’avoir, pour augmenter la douceur du nid sombre,
Un de ses cheveux blancs!
Puis il se reveillait, s’en allait vers la grille,
S’arretait pour parler a ma petite fille,
Et ces temps sont passes!
Le vieillard et l’enfant jasaient de mille choses…
Vous ne voyiez donc pas ces deux etres, o roses,
Que vous refleurissez!
Avez-vous bien le c?ur, o roses, de renaitre
Dans le meme bosquet, sous la meme fenetre?
Ou sont-ils, ces fronts purs?
N’etait-ce pas vos s?urs, ces deux ames perdues
Qui vivaient, et se sont si vite confondues
Aux eternels azurs!
Est-ce que leur sourire, est-ce que leurs paroles,
O roses, n’allaient pas rejouir vos corolles
Dans l’air silencieux,
Et ne s’ajoutaient pas a vos chastes delices,
Et ne devenaient pas parfums dans vos calices,
Et rayons dans vos cieux?
Ingrates! vous n’avez ni regrets, ni memoire.
Vous vous rejouissez dans toute votre gloire;
Vous n’avez point pali.
Ah! je ne suis qu’un homme et qu’un roseau qui ploie,
Mais je ne voudrais pas, quant a moi, d’une joie
Faite de tant d’oubli!
Oh! qu’est-ce que le sort a fait de tout ce reve?
Ou donc a-t-il jete l’humble c?ur qui s’eleve,
Le foyer rechauffant,
O Louise, et la vierge, et le vieillard prospere,
Et tous ces v?ux profonds, de moi pour votre pere,
De vous pour mon enfant!
Ou sont-ils, les amis de ce temps que j’adore?
Ceux qu’a pris l’ombre, et ceux qui ne sont pas encore
Tombes au flot sans bords;
Eux, les evanouis, qu’un autre ciel reclame,
Et vous, les demeures, qui vivez dans mon ame,
Mais pas plus que les morts!
Quelquefois, je voyais, de la colline en face,
Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n’efface!
Et j’entendais leurs chants;
Emu, je contemplais ces aubes de moi-meme
Qui se levaient la-bas dans la douceur supreme
Des vallons et des champs!
Ils couraient, s’appelaient dans les fleurs; et les femmes
Se melaient a leurs jeux comme de blanches ames;
Et tu riais, Armand!
Et, dans l’hymen obscur qui sans fin se consomme,
La nature sentait que ce qui sort de l’homme
Est divin et charmant!
Ou sont-ils? Mere, frere, a son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Memes douleurs! meme ombre!
O jours trop tot decrus!
Ils vont se marier; faites venir un pretre;
Qu’il revienne! ils sont morts. Et, le temps d’apparaitre,
Les voila disparus!
Nous vivons tous penches sur un ocean triste.
L’onde est sombre. Qui donc survit? qui donc existe?
Ce bruit sourd, c’est le glas.
Chaque flot est une ame; et tout fuit. Rien ne brille.
Un sanglot dit: Mon pere! un sanglot dit: Ma fille!
Un sanglot dit: Helas!