Marine-Terrace, juin 1855.
VI. A vous qui etes la
Vous, qui l’avez suivi dans sa bleme vallee,
Au bord de cette mer d’ecueils noirs constellee,
Sous la pale nuee eternelle qui sort
Des flots, de l’horizon, de l’orage et du sort;
Vous qui l’avez suivi dans cette Thebaide,
Sur cette greve nue, aigre, isolee et vide,
Ou l’on ne voit qu’espace apre et silencieux,
Solitude sur terre et solitude aux cieux;
Vous qui l’avez suivi dans ce brouillard qu’epanche
Sur le roc, sur la vague et sur l’ecume blanche,
La profonde tempete aux souffles inconnus,
Recevez, dans la nuit ou vous etes venus,
O chers etres! c?urs vrais, lierres de ses decombres,
La benediction de tous ces deserts sombres!
Ces desolations vous aiment; ces horreurs,
Ces brisants, cette mer ou les vents laboureurs
Tirent sans fin le soc monstrueux des nuages,
Ces houles revenant comme de grands rouages,
Vous aiment; ces exils sont joyeux de vous voir;
Recevez la caresse immense du lieu noir!
O forcats de l’amour! o compagnons, compagnes,
Qui l’aidez a trainer son boulet dans ces bagnes,
O groupe indestructible et fidele entre tous
D’ames et de bons c?urs et d’esprits fiers et doux,
Mere, fille, et vous, fils, vous ami, vous encore,
Recevez le soupir du soir vague et sonore,
Recevez le sourire et les pleurs du matin,
Recevez la chanson des mers, l’adieu lointain
Du pauvre mat penche parmi les lames brunes!
Soyez les bienvenus pour l’apre fleur des dunes,
Et pour l’aigle qui fuit les hommes importuns,
Ames, et que les champs vous rendent vos parfums,
Et que, votre clarte, les astres vous la rendent!
Et qu’en vous admirant, les vastes flots demandent:
Qu’est-ce donc que ces c?urs qui n’ont pas de reflux!
O tendres survivants de tout ce qui n’est plus!
Rayonnements masquant la grande eclipse a l’ame!
Sourires eclairant, comme une douce flamme,
L’abime qui se fait, helas! dans le songeur!
Gaites saintes chassant le souvenir rongeur!
Quand le proscrit saignant se tourne, ame meurtrie
Vers l’horizon, et crie en pleurant: «La patrie!»
La famille, mensonge auguste, dit: «C’est moi!»
Oh! suivre hors du jour, suivre hors de la loi,
Hors du monde, au dela de la derniere porte,
L’etre mysterieux qu’un vent fatal emporte,
C’est beau. C’est beau de suivre un exile! le jour
Ou ce banni sortit de France, plein d’amour
Et d’angoisse, au moment de quitter cette mere,
Il s’arreta longtemps sur la limite amere;
Il voyait, de sa course a venir deja las,
Que dans l’?il des passants il n’etait plus, helas!
Qu’une ombre, et qu’il allait entrer au sourd royaume
Ou l’homme qui s’en va flotte et devient fantome;
Il disait aux ruisseaux: «Retiendrez-vous mon nom,
Ruisseaux?» Et les ruisseaux coulaient en disant: «Non.»
Il disait aux oiseaux de France: «Je vous quitte,
Doux oiseaux; je m’en vais aux lieux ou l’on meurt vite,
Au noir pays d’exil ou le ciel est etroit;
Vous viendrez, n’est-ce pas, vous nicher dans mon toit?»
Et les oiseaux fuyaient au fond des brumes grises.
Il disait aux forets: «M’enverrez-vous vos brises?»
Les arbres lui faisaient des signes de refus.
Car le proscrit est seul; la foule aux pas confus
Ne comprend que plus tard, d’un rayon eclairee,
Cet habitant du gouffre et de l’ombre sacree.
Marine-Terrace, janvier 1855.
VII .
Pour l’erreur, eclairer, c’est apostasier.
Aujourd’hui ne nait pas impunement d’hier.
L’aube sort de la nuit, qui la declare ingrate.
Anitus criait: «Mort a l’apostat Socrate!»
Caiphe disait: «Mort au renegat Jesus!»
Courbant son front pendant que l’on crache dessus,
Galilee, apostat a la terre immobile,
Songe et la sent fremir sous son genou debile.
Destin! sinistre eclat de rire! En verite,
J’admire, o cieux profonds! que c’ait toujours ete
La volonte de Dieu qu’en ce monde ou nous sommes
On donnat sa pensee et son labeur aux hommes,
Ses entrailles, ses jours et ses nuits, sa sueur,
Son sommeil, ce qu’on a dans les yeux de lueur,
Et son c?ur et son ame, et tout ce qu’on en tire,
Sans reculer devant n’importe quel martyre,
Et qu’on se repandit, et qu’on se prodiguat,
Pour etre au fond du gouffre appele renegat!
Marine-Terrace, novembre 1854.