Donnant aux deuils du c?ur, a l’absence, aux cercueils,
Aux souffrances dont saigne ou l’ame ou la famille,
Aux etres chers enfuis ou morts, a notre fille,
Aux vieux parents repris par un monde meilleur,
Nos pleurs, et le sourire a toute autre douleur.
Marine-Terrace, aout 1855.
XIII. Paroles sur la dune
Maintenant que mon temps decroit comme un flambeau,
Que mes taches sont terminees;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les annees,
Et qu’au fond de ce ciel que mon essor reva,
Je vois fuir, vers l’ombre entrainees,
Comme le tourbillon du passe qui s’en va,
Tant de belles heures sonnees;
Maintenant que je dis: – Un jour, nous triomphons;
Le lendemain, tout est mensonge! -
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds,
Courbe comme celui qui songe.
Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuees,
S’envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuees;
J’entends le vent dans l’air, la mer sur le recif,
L’homme liant la gerbe mure;
J’ecoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle a ce qui murmure;
Et je reste parfois couche sans me lever
Sur l’herbe rare de la dune,
Jusqu’a l’heure ou l’on voit apparaitre et rever
Les yeux sinistres de la lune.
Elle monte, elle jette un long rayon dormant
A l’espace, au mystere, au gouffre;
Et nous nous regardons tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.
Ou donc s’en sont alles mes jours evanouis?
Est-il quelqu’un qui me connaisse?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux eblouis,
De la clarte de ma jeunesse?
Tout s’est-il envole? Je suis seul, je suis las;
J’appelle sans qu’on me reponde;
O vents! o flots! ne suis-je aussi qu’un souffle, helas!
Helas! ne suis-je aussi qu’une onde?
Ne verrai-je plus rien de tout ce que j’aimais?
Au dedans de moi le soir tombe.
O terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe?
Ai-je donc vide tout, vie, amour, joie, espoir?
J’attends, je demande, j’implore;
Je penche tour a tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore!
Comme le souvenir est voisin du remord!
Comme a pleurer tout nous ramene!
Et que je te sens froide en te touchant, o mort,
Noir verrou de la porte humaine!
Et je pense, ecoutant gemir le vent amer,
Et l’onde aux plis infranchissables;
L’ete rit, et l’on voit sur le bord de la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.
5 aout 1854, anniversaire de mon arrivee a Jersey.
XIV. Claire P.
Quel age hier? Vingt ans. Et quel age aujourd’hui?
L’eternite. Ce front pendant une heure a lui.
Elle avait les doux chants et les graces superbes;
Elle semblait porter de radieuses gerbes;
Rien qu’a la voir passer, on lui disait: Merci!
Qu’est-ce donc que la vie, helas! pour mettre ainsi
Les etres les plus purs et les meilleurs en fuite?
Et, moi, je l’avais vue encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Son accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon esprit, douces voix eloignees,
Chanter le vague ch?ur de mes jeunes annees.
Il n’a brille qu’un jour, ce beau front ingenu.
Elle etait fiancee a l’hymen inconnu.
A qui mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges?
Un vague et pur reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard celeste et rayonnant;
Elle etait grande et blanche et gaie; et, maintenant,
Allez a Saint-Mande, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le lit de sa noce avec l’ombre;
Vous trouverez la tombe ou git ce lys vermeil;
Et c’est la que tu fais ton eternel sommeil,
Toi qui, dans ta beaute naive et recueillie,
Melais a la madone auguste d’Italie
La Flamande qui rit a travers les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux blonds.
Elle s’en est allee avant d’etre une femme;
N’etant qu’un ange encor; le ciel a pris son ame
Pour la rendre en rayons a nos regards en pleurs,
Et l’herbe, sa beaute, pour nous la rendre en fleurs.