Couvrait l’atre, et semblait un ciel noir etoile.

Et, pendant qu’il sechait ce haillon desole

D’ou ruisselaient la pluie et l’eau des fondrieres,

Je songeais que cet homme etait plein de prieres,

Et je regardais, sourd a ce que nous disions,

Sa bure ou je voyais des constellations.

Decembre 1834.

X. Aux feuillantines

Mes deux freres et moi, nous etions tout enfants.

Notre mere disait: «Jouez, mais je defends

Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux echelles.»

Abel etait l’aine, j’etais le plus petit.

Nous mangions notre pain de si bon appetit,

Que les femmes riaient quand nous passions pres d’elles.

Nous montions pour jouer au grenier du couvent.

Et, la, tout en jouant, nous regardions souvent,

Sur le haut d’une armoire, un livre inaccessible.

Nous grimpames un jour jusqu’a ce livre noir;

Je ne sais pas comment nous fimes pour l’avoir,

Mais je me souviens bien que c’etait une Bible.

Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.

Nous allames ravis dans un coin nous asseoir;

Des estampes partout! quel bonheur! quel delire!

Nous l’ouvrimes alors tout grand sur nos genoux,

Et, des le premier mot, il nous parut si doux,

Qu’oubliant de jouer, nous nous mimes a lire.

Nous lumes tous les trois ainsi tout le matin,

Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,

Et, toujours plus charmes, le soir nous le relumes.

Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,

S’appellent en riant et s’etonnent, joyeux,

De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.

Marine-Terrace, aout 1855.

XI. Ponto

Je dis a mon chien noir: «Viens, Ponto, viens-nous-en!»

Et je vais dans les bois, mis comme un paysan;

Je vais dans les grands bois, lisant dans les vieux livres.

L’hiver, quand la ramee est un ecrin de givres,

Ou l’ete, quand tout rit, meme l’aurore en pleurs,

Quand toute l’herbe n’est qu’un triomphe de fleurs,

Je prends Froissart, Montluc, Tacite, quelque histoire,

Et je marche, effare des crimes de la gloire.

Helas! l’horreur partout, meme chez les meilleurs!

Toujours l’homme en sa nuit trahi par ses veilleurs!

Toutes les grandes mains, helas! de sang rougies!

Alexandre ivre et fou, Cesar perdu d’orgies,

Et, le poing sur Didier, le pied sur Vitikind,

Charlemagne souvent semblable a Charles-Quint;

Caton de chair humaine engraissant la murene;

Titus crucifiant Jerusalem; Turenne,

Heros, comme Bayard et comme Catinat,

A Nordlingue, bandit dans le Palatinat;

Le duel de Jarnac, le duel de Carrouge;

Louis Neuf tenaillant les langues d’un fer rouge;

Cromwell trompant Milton, Calvin brulant Servet.

Que de spectres, o gloire! autour de ton chevet!

O triste humanite, je fuis dans la nature!

Et, pendant que je dis: «Tout est leurre, imposture,

Mensonge, iniquite, mal de splendeur vetu!»

Mon chien Ponto me suit. Le chien, c’est la vertu

Qui, ne pouvant se faire homme, s’est faite bete.

Et Ponto me regarde avec son ?il honnete.

Marine-Terrace, mars 1855.

XII. Doloros?

Mere, voila douze ans que notre fille est morte;

Et depuis, moi le pere et vous la femme forte,

Nous n’avons pas ete, Dieu le sait, un seul jour

Sans parfumer son nom de priere et d’amour.

Nous avons pris la sombre et charmante habitude

De voir son ombre vivre en notre solitude,

De la sentir passer et de l’entendre errer,

Et nous sommes restes a genoux a pleurer.

Nous avons persiste dans cette douleur douce,

Et nous vivons penches sur ce cher nid de mousse

Emporte dans l’orage avec les deux oiseaux.

Mere, nous n’avons pas plie, quoique roseaux,

Ni perdu la bonte vis-a-vis l’un de l’autre,

Ni demande la fin de mon deuil et du votre

A cette lachete qu’on appelle l’oubli.

Oui, depuis ce jour triste ou pour nous ont pali

Les cieux, les champs, les fleurs, l’etoile, l’aube pure,

Et toutes les splendeurs de la sombre nature,

Avec les trois enfants qui nous restent, tresor

De courage et d’amour que Dieu nous laisse encor,

Nous avons essuye des fortunes diverses,

Ce qu’on nomme malheur, adversite, traverses,

Sans trembler, sans flechir, sans hair les ecueils,

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