au galop, en haut, en bas, dedans, dehors, pourquoi, comment, qui, quoi, ou, hein? He! Bang! Paf! Vlan, bing, bong, boum!

Condenses de condenses. Condenses de condenses de condenses. La politique ? Une colonne, deux phrases, un gros titre ! Et tout se volatilise ! La tete finit par vous tourner a un tel rythme sous le matraquage des editeurs, diffuseurs, presentateurs, que la force centrifuge fait s’envoler toute pensee inutile, donc toute perte de temps ! » Mildred retapait le dessus de lit. Montag sentit son c?ur battre a grands coups lorsqu’elle tapota son oreiller. Et voila qu’elle le tirait par l’epaule pour pouvoir degager l’oreiller, l’arranger et le remettre en place sous ses reins. Et peut-etre pousser un cri et ouvrir de grands yeux, ou simplement tendre la main, dire : « Qu’est-ce que c’est que ca ? » et brandir le livre cache avec une touchante innocence.

« La scolarite est ecourtee, la discipline se relache, la philosophie, l’histoire, les langues sont abandonnees, l’anglais et l’orthographe de plus en plus negliges, et fi- nalement presque ignores. On vit dans l’immediat, seul le travail compte, le plaisir c’est pour apres. Pourquoi apprendre quoi que ce soit quand il suffit d’appuyer sur des boutons, de faire fonctionner des commutateurs, de serrer des vis et des ecrous ?

— Laisse-moi arranger ton oreiller, dit Mildred.

— Non ! murmura Montag.

— La fermeture a glissiere remplace le bouton et l’homme n’a meme plus le temps de reflechir en s’habillant a l’aube, l’heure de la philosophie, et par consequent l’heure de la melancolie.

— La, fit Mildred.

— Laisse-moi tranquille, dit Montag.

— La vie devient un immense tape-cul, Montag ; un concert de bing, bang, ouaaah !

— Ouaaah ! fit Mildred en tirant sur l’oreiller.

— Mais fiche-moi la paix, bon Dieu ! » s’ecria Montag.

Beatty ouvrit de grands yeux.

La main de Mildred s’etait figee derriere l’oreiller. Ses doigts suivaient les contours du livre et, comme elle l’identifiait a sa forme, elle prit un air surpris puis stupefait. Sa bouche s’ouvrit pour poser une question...

« Videz les salles de spectacles pour n’y laisser que les clowns et garnissez les pieces de murs en verre ruisselants de jolies couleurs genre confetti, sang, xeres ou sauternes. Vous aimez le base-bail, n’est-ce pas, Montag ?

— C’est un beau sport. » Beatty, presque invisible, n’etait plus qu’une voix derriere un ecran de fumee.

« Qu’est-ce que c’est que ca ? » demanda Mildred d’un ton presque ravi. Montag pressa son dos contre les bras de sa femme. « Qu’est-ce qu’il y a la ?

— Va t’asseoir ! » tonna Montag. Elle fit un bond en arriere, les mains vides. « On est en train de causer ! » Beatty continua comme si de rien n’etait. « Vous aimez le bowling, n’est-ce pas, Montag ?

— Oui.

— Et le golf?

— C’est un beau sport.

— Le basket-ball ?

— Aussi.

— Le billard ? Le football ?

— De beaux sports, tous.

— Davantage de sports pour chacun, esprit d’equipe, tout ca dans la bonne humeur, et on n’a plus besoin de penser, non ? Organisez et organisez et super-organisez de super-super-sports. Encore plus de dessins humoristiques. Plus d’images. L’esprit absorbe de moins en moins. Impatience. Autoroutes debordantes de foules qui vont quelque part, on ne sait ou, nulle part. L’exode au volant. Les villes se transforment en motels, les gens en marees de nomades commandees par la lune, couchant ce soir dans la chambre ou vous dormiez a midi et moi la veille. » Mildred quitta la piece en claquant la porte. Les « tantes » du salon se mirent a rire au nez des « oncles ».

« A present, prenons les minorites dans notre civilisation, d’accord ? Plus la population est grande, plus les minorites sont nombreuses. N’allons surtout pas marcher sur les pieds des amis des chiens, amis des chats, docteurs, avocats, commercants, patrons, mormons, baptistes, unitariens, Chinois de la seconde generation, Sue- dois, Italiens, Allemands, Texans, habitants de Brooklyn, Irlandais, natifs de l’Oregon ou de Mexico. Les personnages de tel livre, telle dramatique, telle serie televisee n’entretiennent aucune ressemblance intentionnelle avec des peintres, cartographes, mecaniciens existants.

Plus vaste est le marche, Montag, moins vous tenez aux controverses, souvenez-vous de ca ! Souvenez- vous de toutes les minorites, aussi minimes soient-elles, qui doivent garder le nombril propre. Auteurs pleins de pensees mauvaises, bloquez vos machines a ecrire. Ils l’ont fait.

Les magazines sont devenus un aimable salmigondis de tapioca a la vanille. Les livres, a en croire ces fichus snobs de critiques, n’etaient que de l’eau de vaisselle. Pas etonnant que les livres aient cesse de se vendre, disaient-ils.

Mais le public, sachant ce qu’il voulait, tout a la joie de virevolter, a laisse survivre les bandes dessinees. Et les revues erotiques en trois dimensions, naturellement. Et voila, Montag. Tout ca n’est pas venu d’en haut. Il n’y a pas eu de decret, de declaration, de censure au depart, non ! La technologie, l’exploitation de la masse, la pression des minorites, et le tour etait joue, Dieu merci. Aujourd’hui, grace a eux, vous pouvez vivre constamment dans le bonheur, vous avez le droit de lire des bandes dessinees, les bonnes vieilles confessions ou les revues economiques.

— Oui, mais les pompiers dans tout ca ? demanda Montag.

— Ah. » Beatty se pencha en avant dans le leger brouillard engendre par la fumee de sa pipe. « Rien de plus naturel ni de plus simple a expliquer. Le systeme scolaire produisant de plus en plus de coureurs, sauteurs, pilotes de course, bricoleurs, escamoteurs, aviateurs, nageurs, au lieu de chercheurs, de critiques, de savants, de createurs, le mot 'intellectuel' est, bien entendu, devenu l’injure qu’il meritait d’etre. On a toujours peur de l’inconnu. Vous vous rappelez surement le gosse qui, dans votre classe, etait exceptionnellement 'brillant', savait toujours bien ses lecons et repondait toujours le premier tandis que les autres, assis la comme autant de potiches, le haissaient. Et n’etait-ce pas ce brillant sujet que vous choisissiez a la sortie pour vos brimades et vos tortures ?

Bien sur que si. On doit tous etre pareils. Nous ne naissons pas libres et egaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend egaux. Chaque homme doit etre l’image de l’autre, comme ca tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil charge dans la maison d’a cote. Brulons-le. Dechargeons l’arme. Battons en breche l’esprit humain. Qui sait qui pourrait etre la cible de l’homme cultive ? Moi ?

Je ne le supporterai pas une minute. Ainsi, quand les maisons ont ete enfin totalement ignifugees dans le monde entier (votre supposition etait juste l’autre soir), les pompiers a l’ancienne sont devenus obsoletes. Ils se sont vu assigner une tache nouvelle, la protection de la paix de l’esprit ; ils sont devenus le centre de notre crainte aussi comprehensible que legitime d’etre inferieur : censeurs, juges et bourreaux officiels. Voila ce que vous etes, Montag, et voila ce que je suis. » La porte du salon s’ouvrit et Mildred se tint sur le seuil, regardant a tour de role Beatty et Montag. Derriere elle les murs de la piece etaient inondes de feux d’artifice vert, jaune et orange qui gresillaient et explosaient au son d’une musique presque entierement a base de tambours, de tam-tams et de cymbales. Ses levres remuerent ; elle disait quelque chose mais le tintamarre couvrait sa voix.

A petits coups, Beatty vida sa pipe dans le creux de sa main rose, examina les cendres comme si c’etait la un symbole a diagnostiquer et a dechiffrer.

« Il faut que vous compreniez que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d’inquieter et de deranger nos minorites. Posez-vous la question : Qu’est-ce que nous desirons par-dessus tout dans ce pays ? Les gens veulent etre heureux, d’accord ?

N’avez-vous pas entendu cette chanson toute votre vie ?

Je veux etre heureux, disent les gens. Eh bien, ne le sont-ils pas ? Ne veillons-nous pas a ce qu’ils soient toujours en mouvement, a ce qu’ils aient des distractions ?

Nous ne vivons que pour ca, non ? Pour le plaisir, l’excitation ? Et vous devez admettre que notre culture nous fournit tout ca a foison.

— Oui. » Montag lisait sur les levres de Mildred ce qu’elle etait en train de dire depuis le seuil. Il s’efforca de ne pas regarder sa bouche, car Beatty risquait de se tourner et de lire lui aussi les mots qu’elle prononcait.

Вы читаете FAHRENHEIT 451
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату