village. Il n’avait jamais couru aussi vite de sa vie. Son « charybde » explosa quand il etait deja dans le jardin de la premiere maison. Il ne se retourna meme pas, ne fit que rentrer la tete dans les epaules, se courba encore plus et courut encore plus vite. « Gloire eternelle a toi, se repetait-il. Gloire eternelle a toi ! » Puis il comprit qu’il prononcait ces mots depuis le moment ou il avait vu a l’endroit ou etait le second « charybde » cette epouvantable colonne de poussiere.

La place etait vide, les gazons foules ; partout trainaient des appareils sans prix, uniques, des boites avec des enregistrements uniques, et une brise legere feuilletait paresseusement des cahiers uniques remplis d’observations uniques.

Essouffle, Robert traversa la place et courut vers le flyer. Le moteur du flyer tournait ; dans le fauteuil du conducteur, avec son habituel air somnolent, etait assis Patrick.

— Eh bien, te voila, dit Patrick tendrement.

(Robert le regarda ahuri.) Je commencais a penser que tu y etais reste. Monte vite, il faut deguerpir. Tu as vu la vitesse a laquelle elle va maintenant, oh, la, la !

Robert s’ecroula sur le siege voisin.

— Attends, dit-il, suffoquant. Peut-etre le second  … s’est-il sauve, lui aussi ? Qui etait-ce ? Malaiev ? Hoffman ?

Patrick manipula maladroitement la manivelle, mettant le flyer en position de decollage.

— Le second, c’etait moi, dit-il timidement.

— Toi ?

— Moi, repeta Patrick avec un petit rire nerveux.

U fit longuement rouler le flyer sur la piste et reussit enfin a decoller.

— J’ai senti que j’allais exploser, je me suis extrait de la cabine et j’ai couru. Ca a ete une sacree explosion, pas vrai ? Elle m’a fait reculer jusqu’au village  …

Le village tourna lentement au-dessous d’eux et glissa en arriere. « Patrick, ca alors ! » pensa Robert, deconcerte.

— La mienne a fait plus de bruit„declara Patrick. Qu’est-ce que tu en penses, Rob, hein ?

— Ou va-t-on ? demanda Robert.

— Aux Ruisseaux Froids, dit Patrick. C’est la que sera installee la nouvelle base.

CHAPITRE VII

Robert regarda par-dessus son epaule. On ne voyait plus rien sinon un ciel blanchatre et des champs verts. Ca fait deja deux fois que je suis confronte a Elle, pensa-t-il. Jamais deux sans trois.

— Que va-t-il se passer maintenant ? demanda-t-il.

Patrick avanca ses levres epaisses.

— Ca va aller mal. Elle a une enorme reserve d’inertie.

— Tu as essaye de calculer ?

— Oui.

— Et alors ?

Patrick poussa un gros soupir et ne dit rien. Robert, les sourcils fronces, regardait droit devant lui. Puis il brancha le poste de radio du flyer et se mit sur la frequence de L’Enfance. Il appuya plusieurs fois sur la touche d’appel, mais L’Enfance ne repondait pas. « Il ne faut pas s’inquieter, pensait-il. La fete estivale et tout le reste. Comme c’est etrange, ils ne savent encore rien. Alors, qu’ils continuent a ne rien savoir. Moi seul, je saurai. » Il redemanda :

— Ou allons-nous ?

— Tu me l’as deja demande.

— Ah oui  … Patrick, mon vieux, il te faut absolument aller aux Ruisseaux ?

— Bien sur. Ou veux-tu qu’on aille ?

Robert se rejeta contre son dossier.

— Oui, dit-il. Tu n’aurais pas du rester.

— Qu’entends-tu par la ?

— Tu peux aller plus vite ?

— Oui  …

— Et encore plus vite ?

Patrick ne repondit pas. Le moteur s’etouffait, noye par l’air.

— Toujours, nous nous pressons, marmonna Patrick. Toujours, il y a quelque chose ou quelqu’un pour nous harceler. Plus vite, encore plus vite  … Ne peut-on pas aller encore plus vite ? Si, on peut, repondons-nous. A vos ordres ! Pas le temps de voir quoi que ce soit. Pas le temps de reflechir. Pas le temps de tirer les choses au clair. Pourquoi ? Est-ce que ca en vaut la peine ? Et puis arrive la Vague. Et de nouveau, nous nous pressons.

— Donne plus de gaz, dit Robert qui pensait a tout autre chose. Et appuie sur la droite.

Patrick se tut. En bas defilaient des champs verts de ble en train de murir, de rares maisonnettes blanches : les stations meteorologiques. On voyait le betail, pousse droit a travers les bles vers le sud. De cette hauteur, les cyberbergers paraissaient de minuscules etoiles brillantes. Tout cela n’etait plus d’aucune utilite.

— Tu as des nouvelles du Fleche ? demanda Robert.

— Non. Le Fleche est loin. Il n’aura pas le temps. N’y pense pas, Rob !

— A quoi veux-tu que je pense d’autre ? grogna Robert.

— Mais a rien. Installe-toi mieux et regarde. Je ne sais pas en ce qui te concerne, mais moi, avant, je n’avais jamais remarque tout ca. Il me semble que je n’ai meme jamais vu cette vague verte que font les bles sous le vent  … Vague ! Zut ! Tu sais quand j’ai vu tout ca pour la premiere fois ? Tu sais ? Quand je regardais la steppe a travers la visiere en fer du « charybde ». Au debut, je n’avais d’yeux que pour cette noirceur, et puis, soudain, j’ai vu la steppe et j’ai compris que c’etait la fin de tout. Alors, j’ai eu terriblement pitie de cela. Les musaraignes regardaient la Vague et ne comprenaient rien  … Tu sais ce que j’ai decouvert, Rob ? Nous nous sommes trompes quelque part.

Robert se taisait. « Il est trop tard pour t’en aviser, pensait-il. Il fallait bien regarder avant, ne serait-ce que par la fenetre. »

En bas defilaient des edifices blancs et rectangulaires, des places betonnees, des tours rayees portant des antennes energetiques : c’etait l’une des multiples stations d’energie de la ceinture du nord.

— Descends, dit Robert.

— Ou ?

— La, sur la place, tu vois, ou sont les pterocars.

Patrick regarda par-dessus bord.

— En effet, dit-il. Mais pourquoi ?

— Tu prendras un pterocar et tu me laisseras le flyer.

— Qu’est-ce que tu as derriere la tete ? demanda Patrick.

— Tu continueras tout seul. Moi, je n’ai pas besoin d’aller aux Ruisseaux. Descends.

Docilement, Patrick amorca l’atterrissage. N’empeche, il conduisait le flyer d’une maniere execrable. Robert examinait la place.

— Une organisation merveilleuse, marmonna-t-il, railleur. Nous, la-bas, on est serres comme des sardines, on jette tout, et ici, il y a trois pterocars pour deux personnes de service.

Le flyer se posa maladroitement entre les ptero-cars. Robert se mordit la langue.

— Ouille ! dit-il. Bon, descends, descends.

Tres lentement, a contrec?ur, Patrick quitta son siege.

— Rob, dit-il, incertain, ce n’est peut-etre pas mon affaire, mais tout de meme, qu’as-tu derriere la tete ?

Robert se poussa vivement a sa place.

— Ne t’inquiete pas, rien de terrible. Tu arriveras a conduire le pterocar ?

Patrick restait debout, les bras baisses ; son visage prit une expression plaintive.

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