Il ferma le passeport d’un geste sec et le fourra dans sa poche.

— Monsieur Gessler, attaqua-t-il avec brusquerie, pourquoi nous avez-vous raconte cette histoire de barrage, tout a l’heure ? Paulo vient d’aller voir : tout est calme, dehors.

Son aprete fit sursauter Lisa. Freddy s’approcha, le visage deforme par une lippe mauvaise. Il tenait un appareil telephonique a chaque main.

— Tout est tres calme, rencherit Paulo, lequel se tenait adosse a un pilier de fer, tout pres de l’avocat.

Il y eut une periode interminable de silence. Warner lisait le journal dont les bandes dessinees interessaient Paulo avant la venue de Frank. Baum somnolait dans le fauteuil pivotant. Les deux Allemands n’avaient aucunement conscience de la brusque tension qui venait de se produire.

— C’est pas gentil de nous faire peur, grinca Freddy en se penchant sur l’avocat.

Gessler, deborde, se dressa, par reaction. Son expression maussade avait disparu. D’un geste lent, il ecarta Freddy qui lui barrait le chemin. Lisa, Frank et Paulo ne le perdaient pas de vue. Lisa sentait battre son c?ur a grands coups desordonnes.

— Je sais bien que ca peut vous paraitre surprenant, soupira l’avocat ; mais je n’ai pas eu le courage de partir.

— C’est plutot pour rester qu’il faut du courage, affirma l’evade. Un sacre courage, meme !

Warner tourna les pages de son journal et se mit a fredonner une chanson. Baum dormait ferme en ronflant par moments.

— Paulo, Freddy ! appela Frank.

Les interesses se rapprocherent.

— Voulez-vous descendre un instant dans l’entrepot avec monsieur Gessler !

Frank avait parle lentement, sans hargne, d’un ton absolument neutre, mais ils ne s’y tromperent pas. Son regard fixe trahissait la confusion de ses pensees.

Freddy lacha simultanement les deux appareils telephoniques. Ceux-ci tomberent comme des poires mures et resterent plantes de chaque cote de sa personne.

— Frank, bredouilla Lisa, qu’est-ce que ca signifie ?

— Je vais te le dire, j’attends seulement que Me Gessler soit descendu.

— Je ne comprends pas, dit Gessler.

— Moi non plus, riposta Frank, mais nous allons essayer de comprendre. Quelle heure est-il, Paulo ?

— Sept heures pile ! annonca Paulo.

Comme il disait ces mots, un clocher se mit a egrener des coups espaces quelque part, de l’autre cote du fleuve. Paulo leva le doigt pour requerir l’attention de son ami.

— Tu te rends compte si on s’entend bien avec l’Allemagne maintenant ? plaisanta-t-il lugubrement. Meme nos horloges sont d’accord !

Frank eut un geste brusque de la main pour leur intimer l’ordre d’emmener Gessler.

Freddy posa sans brutalite sa main sur l’epaule de l’avocat. Il le poussa vers la porte de l’entrepot en chuchotant d’un air equivoque :

— Mais oui, descendons.

Avant de passer le seuil du bureau, Gessler se retourna. Un instant, Lisa crut qu’il allait s’insurger, mais l’avocat vouta ses epaules et disparut.

Warner abaissa son journal. Il etait intrigue par cette triple sortie. Il interpella Paulo.

— Qu’est-ce qu’il veut ? questionna ce dernier.

— Il demande ou vous allez, traduisit mornement Lisa.

Paulo renifla.

— On va pisser, mon pote ! fit-il avant de disparaitre.

Sa voix enjouee rassura Warner qui se remit a lire. Frank regardait Lisa sans rien dire.

— Qu’est-ce qui te prend, Frank ? insista la jeune femme.

La peur revenait en elle, sournoise et glacee. Elle avait de petits frissons.

Frank montra la porte que les trois hommes venaient d’emprunter.

— Vous en etes ou, toi et lui ?

— Qu’est-ce que tu racontes !

Elle dut s’asseoir, car ses jambes lui manquaient. Elle vit, comme dans un reve, Frank s’approcher d’elle, les mains dans les poches, souriant et degage. Il s’inclina et l’embrassa en lui mordillant tres legerement la levre inferieure. Il gouta la peur de Lisa.

— N’aie pas peur, essaya-t-il de la rassurer, mais il faut que je sache, comprends-tu ?

— Il n’y a rien a savoir, Frank, protesta Lisa.

— Allons donc !

— Mais non, je te jure.

Il l’embrassa de nouveau. Le baiser etait inquietant.

— Je t’embrasse pour t’empecher de mentir, annonca Frank en clignant de l’?il.

— Tu es fou !

Il resta penche sur elle et, par jeu, frotta le bout de son nez contre celui de sa maitresse. Autrefois, il avait l’habitude de la reveiller ainsi. Elle ouvrait les yeux, deja grisee par sa chaleur et son odeur d’homme. Elle sortait ses bras de sous les couvertures pour les refermer sur le torse nu de son amant. Oui, autrefois…

— Le mieux, dit-il, c’est de commencer par le commencement. Tu verras comme ca va etre facile.

— Mais, Frank, je ne comprends pas…

— On m’arrete a Hambourg, recita le garcon de son ton uni et presque joyeux. On m’arrete avec mon chargement de drogue et mon revolver fumant. Toi, pendant ce temps, cherie, tu es a Paris…

Il se tut, battit des paupieres avec lassitude, et soupira :

— Allez continue, je t’ecoute !

Lisa se dressa.

— Non, Frank ! dit-elle avec vehemence ; non, je ne marche pas. Tu n’as pas le droit d’etre injuste a ce point. Depuis quelques minutes tu es libre. Libre, Frank ! Et au lieu de savourer ta liberte retrouvee, tu veux savoir ce que j’ai fait de la mienne. C’est…

Elle chercha un mot. Un mot precis, mais qui ne le choquat pas.

— C’est deshonorant, lacha-t-elle en soutenant le regard clair de son amant.

Frank conserva son terrible sourire.

— On m’arrete a Hambourg, reprit-il ; toi tu es a Paris… Allez, commence, voyons !

Lisa se sentit ravagee par cette volonte implacable.

— Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Je t’ai ecrit toute ma vie, au jour le jour, pendant ces cinq annees ! Que te faut-il de plus ?

— Quand tu m’ecrivais, je n’etais pas en face de toi pour t’empecher de mentir !

Il lui donna une bourrade qui se voulait affectueuse, mais qui cependant fit mal a Lisa.

— Allez, mon chou, raconte !

Lisa joignit les mains. Un grand vide se creusait en elle. Elle ne savait comment reagir. S’insurger ou se soumettre ? Le calmer par la douceur ou par la violence ?

— Dans une demi-heure, soupira-t-elle, le bateau va venir nous prendre et il nous menera vers le salut.

D’un geste doux elle lui caressa la nuque. Il ploya la tete pour se degager, mais Lisa accentua sa pression.

— Nous dormirons ensemble, continua Lisa, comme en etat d’hypnose, l’un contre l’autre, comme deux betes. Et demain, quand le jour sera revenu, Frank, quand il sera revenu…

Son regard errait sur la verriere obscure. L’emotion lui nouait la gorge. Baum, qui s’etait reveille, s’approcha d’eux et les considera avec amusement. Il murmura quelque chose. Lisa hocha la tete et demanda a Frank :

— Tu sais ce qu’il vient de dire ?

Frank secoua negativement la tete.

— Il dit que lorsqu’une femme passe sa main, comme cela, sur la nuque d’un homme, ca signifie qu’elle l’aime.

Frank prit la main de Lisa et l’ecarta deliberement en toisant l’Allemand.

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