Frank arpenta la piece jusqu’a la verriere. Une lame du plancher craquait a certain endroit. Il se mit a la faire gemir en pressant dessus avec le talon. Le petit cri du bois devenait insupportable.

— Arrete ! implora la jeune femme.

Il cessa de faire craquer la latte, et revint a elle apres avoir coule un regard a l’exterieur.

Le port etait calme. La pluie ronflait contre les vitres et le conduit de descente engorge, produisait un bruit de borborygme.

— Gessler est un honnete homme. Un homme connu, un homme repute. Et voila que tout a coup il organise une evasion !

— Il ne l’a pas organisee, rectifia Lisa, il m’a seulement…

Du geste, Frank la fit taire.

— Ca s’est fait comment cette metamorphose ? questionna l’evade. Hein, Lisa ? Comment l’impensable est-il devenu pensable pour ce magistrat integre ?

— Je ne sais pas.

— Un jour tu as du prononcer devant lui le mot « evasion ». Un mot a le rendre cardiaque, et pourtant il n’est pas mort foudroye. Pourquoi, Lisa ? Pourquoi ?

Comme elle ne repondait pas, il l’empoigna par le bras, la souleva de son siege et se mit a la promener dans la piece en la secouant.

— Puisque je te dis que je veux savoir ! Tu m’entends ? Je veux savoir ! Je veux savoir !

Paulo surgit par la porte donnant sur l’entrepot.

— Frank ! hurla-t-il, qu’est-ce que tu lui fais !

— Fous le camp ! tonna Frank sans lacher Lisa.

Paulo ne bougea pas.

— Je venais te dire… Il y a deux motards qui viennent de passer dans la rue a tout berzingue.

— Je m’en fous, file !

— Mais, Frank…

— File ! hurla Frank.

Paulo retourna a la porte. Avant de sortir, il murmura :

— Il est sept heures dix, pense au bateau ! 

14

Le commissaire avait quitte son bureau et arpentait la salle principale du commissariat en machonnant son megot de cigare eteint. Il avait reduit l’allumette en une sorte de bouillie qu’il titillait du bout de la langue. De temps a autre il stoppait sa marche pour se planter devant une grande glace encadree d’or placee au- dessus de la cheminee. Il admirait l’ordonnance de ses cheveux pales ; plats coupes court, rectifiait sa cravate sombre et chassait, a petites chiquenaudes, la cendre de cigare qui s’etait ecroulee sur ses revers. Il ne restait plus qu’un inspecteur dans le poste : un grand garcon maigre, a la machoire proeminente, dont le visage fremissait sous l’effet de tics nombreux. Chaque fois que le commissaire posait son regard severe sur lui, l’homme se hatait de rediger des choses obscures sur des formulaires imprimes.

A la fin, le commissaire appuya sur le bouton d’un appareil interphone.

— J’ecoute ! annonca une voix seche.

— Sortez ma voiture !

— Tout de suite, herr commissaire.

Le policier avait un vestiaire dans son bureau. Il decrocha un manteau de cuir noir double de peau de chat. Lorsqu’il l’eut revetu, il paraissait avoir double de volume. Il coiffa son feutre gris perle garni d’un large ruban noir et enfila ses gants fourres. C’etait un personnage menacant et pittoresque.

Quand il sortit, sa Mercedes noire se trouvait devant le perron. Un policier se tenait au volant. L’homme avait boucle se ceinture de securite. Le commissaire prit place a l’avant de la voiture.

— On traverse, dit-il seulement.

* * * 

De l’autre cote du tunnel, ses hommes fourmillaient. Baumann, un inspecteur chef qui dirigeait les operations, se precipita sur sa voiture lorsque celle-ci deboucha de l’ascenseur.

— Alors ? demanda le commissaire.

— Le fourgon n’a pas quitte le port, dit l’inspecteur chef en rectifiant la position.

Il avait le nez rouge, des yeux noyes dans une espece de gelatine qui donnait a son regard une brillance ec?urante.

— Comment le savez-vous ?

— Exceptionnellement, les patrouilles de la douane ont opere des verifications en fin d’apres- midi. Les douaniers sont formels : aucun fourgon cellulaire n’est passe. De plus, l’un de mes hommes a recueilli le temoignage d’un marin hollandais, a moitie ivre, qui pretend avoir vu ledit fourgon traverser un chantier. Curieux, n’est-ce pas ?

— Il s’agit donc sans aucun doute d’une evasion, decreta le commissaire.

Il n’etait pas mecontent de l’evenement. Depuis plusieurs semaines un calme plat regnait a Hambourg et ses services accomplissaient une besogne paperassiere des plus routinieres.

— Qu’on diffuse le signalement de l’homme partout. Qu’on fasse des verifications dans les gares et a l’aeroport. Qu’on visite les embarquements. Il faut fouiller ce quartier dock apres dock. On n’a pas desintegre la voiture. Si elle n’a pas quitte le port, elle est certainement dans quelque entrepot.

— Certainement, herr commissaire, j’ai deja donne des instructions, Nos hommes explorent les ruelles, les impasses, les entrepots…

— Parfait. J’exige du travail soigne. Demandez du renfort a l’hotel de police. Que tout le port soit en etat de siege. Je veux avant toute chose retrouver ce fourgon coute que coute.

— J’y vais, herr commissaire !

Le commissaire descendit de sa voiture. Il prit un nouveau cigare dans sa poche, mais il pleuvait dru et il prefera ne pas l’allumer. Il le glissa pourtant entre ses levres minces et se mit a le machonner voluptueusement.

Une evasion, cela plaisait toujours au public. C’etait si spectaculaire ! Les journalistes ne tarderaient pas a accourir.

Il songea qu’il avait mis une chemise blanche le matin, et s’en montra satisfait. Pour les photos c’etait preferable.

Il se mit a l’abri dans la guerite d’un gardien. Un fourgon cellulaire cela avait un volume considerable. Il ne devait pas etre facile de le dissimuler. 

15

Baum sortit sur les talons de Paulo. Il semblait mecontent. Contrairement a Warner, que les reactions de ses « clients » ne troublaient pas, Baum n’aimait pas le comportement de Frank. C’etait un homme determine et sans scrupules, mais qui possedait le sens d’une certaine logique. Il trouvait les reactions de l’evade incoherentes et elles l’inquietaient.

— Tu es trop injuste a la fin, dit Lisa. Frank, pendant cinq ans, j’ai rode comme une bete le long de ces murs qui te retenaient en cherchant le moyen de t’en faire sortir…

— Je sais, coupa le garcon.

Et de son ton implacable il reprit :

— Tu m’as bien dit que tu voyais Gessler une fois par semaine, n’est-ce pas ?

— Je n’ai pas compte.

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