— Est-ce que tu vas parler, bon Dieu ! explosa l’evade. N’essaie pas de noyer le poisson, ca ne prend pas.

— Parler !

Elle etait au bord des larmes…

— Parler pour te dire quoi, Frank ?

— Tout ! On a le temps ! repondit-il.

Il etait inexorable comme les aiguilles d’une horloge.

Toi, tu es a Paris pendant qu’on m’arrete a Hambourg… Je t’en prie, je t’en supplie, continue.

Il l’attira contre lui et appuya son front contre le front de Lisa.

— Pauvre chere Lisa, balbutia-t-il, sincere. Comme je te tourmente, hein ? Attends, je vais t’aider… Qui est-ce qui t’a appris la nouvelle ?

— Paulo, fit Lisa d’une voix morte.

— Comment ?

— Par telephone.

— Qu’est-ce que tu as ressenti, alors ?

Elle redressa la tete pour le regarder.

— J’ai eu froid.

— Et puis ?

— Seulement froid.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

— J’ai telephone a Madeleine dont le mari est avocat.

— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

Lisa eut un triste sourire. Et ce fut avec un rien de mechancete qu’elle repondit, sans broncher :

— Elle m’a dit que j’etais folle d’aimer un homme comme toi.

Il ne reagit pas, n’eut meme pas une moue ironique. Son visage glace etait pareil a un masque.

— Et son mari ? Que t’a-t-il dit, lui ?

— Que la peine de mort n’existait plus en Allemagne.

Lisa marque un leger temps et soupira :

— C’a ete ma premiere joie.

— C’est lui qui t’a adressee a Gessler ?

— Il m’a rappelee un peu plus tard. Dans l’intervalle il s’etait renseigne : Gessler passait pour etre le meilleur avocat d’Assises de Hambourg. Je lui ai cable tout de suite.

— Et puis ?

— J’ai pris l’avion.

— Et puis ?

Les questions de Frank faisaient penser au tic-tac d’un metronome. Elles rythmaient le drame, froidement, mecaniquement.

— J’ai rencontre Gessler. Je lui ai dit qu’il fallait te sauver a n’importe quel prix.

— Et il t’a repondu quoi, le cher homme ?

— Qu’on ne sauve pas un homme qui a abattu un flic ; dans aucun pays.

— C’est bourgeois chez lui ? demanda Frank tout de go.

Elle fut etonnee.

— Pourquoi ?

— Et bourgeois allemand, hein ? ricana Frank. Ca doit peser une tonne, je vois ca d’ici !

Baum, qui les contemplait toujours, s’adressa a Lisa. Il paraissait trouble.

— Qu’est-ce qu’il veut ? s’impatienta Frank.

— Il demande pourquoi tu ne m’embrasses pas comme les Francais.

— Quel c… ! fit le jeune homme.

Il saisit brutalement la tete de Lisa dans ses deux mains et pour la premiere fois depuis leurs retrouvailles, lui donna un baiser long et passionne. Baum se mit a jubiler. Il fit claquer ses doigts pour requerir l’attention de Warner et lui designa le couple. Warner abaissa son journal. Les deux hommes regarderent en silence, emerveilles. Le baiser cessa. Frank donna une caresse a la joue de Lisa.

— C’etait pas seulement par patriotisme, tu sais.

Ils resterent un moment unis par une etreinte misericordieuse qui les calmait comme un bain chaud.

— Je t’aime, mon Frank, soupira Lisa.

— Tu disais que tu avais rencontre Gessler pour ma defense. Apres ?

C’etait un monstre. Lisa le regarda en songeant : « C’est un monstre ». Un etre impitoyable, sans emotion veritable.

— Apres, rien ! dit-elle farouche.

— On m’a juge, condamne, et tu as continue a le voir ?

— Il me donnait de tes nouvelles. Comment en aurais-je eu sinon, puisque tu ne m’ecrivais pas ?

— A partir de quand t’es-tu installee a Hambourg, Lisa ?

— Mais…

— Avant ou apres le proces ? insista Frank.

— Apres, repondit-elle dans un souffle.

— Tu voyais souvent Gessler ?

— Comme ca.

— Ca n’est pas une reponse. Tu le voyais tous les combien ?

— Je ne sais pas… De temps en temps…

La main de Frank se crispa sur le bras de Lisa. Elle eut tres mal.

— Tous les combien ?

— Disons une fois par semaine.

— Et tu le voyais ou ?

— Ecoute-moi, Frank, je…

— Tu le voyais ou ?

— A son cabinet, voyons !

— Jamais ailleurs ?

— Mais non.

— Jamais ailleurs ? Reflechis ! Reflechis bien et reponds-moi franchement, sinon je risque de me mettre en colere. Je voudrais tellement ne pas me mettre en colere, Lisa…

— Je l’ai peut-etre rencontre dans une brasserie une ou deux fois.

— Pas plus ?

— Non, Frank.

Il la gifla. Ce fut tres prompt et tres violent. Une marque ecarlate fleurit sur la joue meurtrie de Lisa.

— Ne mens pas, implora Frank. Je t’en supplie, ma petite prune, ne mens pas, ca complique.

Baum s’etait rapproche. Les mains aux hanches, il defiait Frank. Frank se dressa et ils se fixerent un moment. Dompte, l’Allemand alla s’asseoir a l’autre bout du local, butant dans les appareils telephoniques qui jonchaient le sol.

— Ce type est fou ! lacha-t-il au passage a Warner.

Ce dernier haussa les epaules et se replongea dans sa lecture. Il avait l’ame d’un mercenaire. Il accomplissait son travail sans se soucier du reste.

— Gessler te faisait la cour ? insista Frank en caressant du bout du doigt la joue de Lisa ou s’etoilait sa gifle.

— Non, Frank.

— En tout cas, affirma le garcon, il est drolement amoureux de toi ; tu ne vas pas pretendre le contraire, j’espere ?

Lisa eut une breve reflexion.

— Peut-etre, reconnut-elle. Qu’est-ce que ca peut faire ? Mais reponds, Frank. Qu’est-ce que ca change vis-a-vis de nous deux ?

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