deserts…

La melancolie de sa maitresse accabla Frank.

— Bon Dieu, Lisa, fit-il, je crois que je commence a comprendre. Tu n’etais plus amoureuse de moi, tu etais amoureuse de mon absence. Amoureuse de ton chagrin, de ta solitude. Amoureuse de Hambourg aussi et peut- etre, apres tout, de Gessler.

— Tu es en train de tout detruire, Frank, repondit-elle.

— Vous vous promeniez ensemble… au bord du lac… l’hiver !

Venant de l’exterieur, une rumeur leur parvint, faite de sirenes de police, de petarades de moteurs, de coups de sifflet. Freddy courut a la verriere et risqua un coup d’?il au-dehors.

— Si tu voyais ce branle-bas ! s’exclama-t-il, ca pullule, les uniformes. On se croirait en mai 40 !

Paulo reussit l’une de ses plus belles grimaces.

— Avouez que ca serait truffe de se faire piquer a quelques minutes de l’arrivee du bateau.

Furieux, il tendit vers Frank un index accusateur :

— On est assis sur un tonneau de poudre, et t’es la a couper les cheveux de Lisa en quatre ! J’espere que demain, au Danemark, tu pigeras enfin que t’es libre et que la vie est belle !

Lisa fut sensible a l’espoir contenu dans ces paroles. Elle se jeta contre Frank, cherchant a lui transmettre elle ne savait quel apaisement.

— Il a raison, Frank, tu verras…

Frank la berca un moment contre sa poitrine.

— C’est vrai, realisa-t-il, le Danemark… Tu m’aideras ?

— Je t’aiderai, promit Lisa avec feu.

— Tu crois qu’un jour j’oublierai ces cinq annees ?

— Oui, Frank.

— Je ne parle pas des miennes, rectifia l’evade en lui soulevant le menton, mais des tiennes.

— Je sais.

— Un jour je recommencerai a te croire ?

Elle hocha la tete.

— Au fond, tu me crois deja, Frank !

— Tu me diras : « Je n’ai jamais couche avec Gessler », et ca me paraitra evident hein, tu crois ?

— Je n’ai jamais couche avec Gessler, Frank !

— Et tu n’eprouves rien pour lui ?

Elle regarda lentement, craintivement en direction de l’avocat. Le buste droit, les mains croisees sur ses genoux, Gessler paraissait ne pas entendre.

— Rien, Frank, sinon une grande reconnaissance !

— Ca aussi, fit-il, il faudra l’oublier. C’est ce qu’il y a de plus facile a oublier.

— J’oublierai !

— Et l’allemand ? demanda-t-il tout de go.

— Quoi l’allemand ?

— Tu l’oublieras egalement ?

— Ce sera comme si je ne l’avais jamais su, mon cheri.

— Tu me le jures ?

— Je te le jure !

— Tu ne te souviendras plus de l’Aussen-Alster quand il est gele ?

— Plus ! promit-elle.

Elle etait dans un etat second. Tout venait de rentrer dans l’ordre et une paix douceatre les enveloppait. Malgre le peril exterieur, ils etaient pleins d’une serenite tres rare.

— Tu ne sauras plus comment est le parc, l’hiver, avec le givre et les arbres en marbre ?

— Je ne le saurai plus !

Il la repoussa avec sa froide brutalite. Son visage s’etait convulse.

— Et tu esperes que je vais te croire, Lisa !

— Frank !

— Menteuse ! Sale menteuse ! P… de menteuse !

Elle mit ses mains contre ses oreilles et secoua la tete.

— Oh ! non, arrete ! Je deviens folle !

— Jusqu’a present tu m’as menti ; comment veux-tu que je te croie ?

— Je ne t’ai pas menti, Frank !

— Tu m’as dit que tu rencontrais Gessler une fois par semaine ; et tu as du convenir que tu le voyais tous les jours. Tu m’as dit que tu le rencontrais a son cabinet alors qu’en realite il venait dans ta chambre !

Sa voix s’etrangla dans un sanglot brusque.

— Dans ta chambre ! repeta Frank aneanti.

Cette chambre, je ne l’aurai jamais connue, Lisa ! Jamais ! Tu auras beau me raconter le papier de la tapisserie, les meubles, les gravures au mur…

— C’est comme ta cellule, retorqua Lisa. Je ne l’aurai jamais connue non plus. Et pourtant, c’est facile a imaginer, une cellule ! Trop facile, meme : je n’y suis jamais parvenue !

Elle continua avec une vehemence croissante :

— C’est dans cette cellule que tu n’as pas repondu a mes lettres ! C’est dans cette cellule que tu t’es mis a fabriquer ce silence qui me rendait folle. Toi, tu te demandes si je t’ai trompe. Moi, je me demande si tu ne m’avais pas oubliee.

— Oubliee ! dit-il.

Cela ressemblait a une plainte. Lorsqu’il devenait douloureux, Lisa lui pardonnait tout. C’etait un enfant fragile ; un enfant perdu dans le monde. Un enfant seul.

— Oublie, reprit-il, mais pas un instant, Lisa. Pas une poussiere de seconde !

C’est toi qui le dis, objecta doucement la jeune femme. Vois-tu, Frank, nous n’avons pour nous convaincre que nos paroles respectives. Ca pourrait suffire. Moi je voudrais bien que ca suffise, mais c’est toi qui decides que ca ne suffit pas !

Paulo vint a eux et leur mit a chacun une main sur l’epaule.

— Il faut la croire, Frank !

Freddy ne voulut pas etre en reste.

— Parfaitement, approuva-t-il. Puisque vous nous avez dit qu’on etait le jury, voila notre sentence : il faut vous croire !

Paulo crut bon de faire une demonstration.

— Pendant ces cinq ans, tu oublies qu’on a vu Lisa nous aussi. Pas tous les jours, bien sur. Tous les cinq ou six mois. Quand on voit quelqu’un tous les jours on ne s’apercoit pas qu’il change. Mais tous les cinq ou six mois, Franky, ca saute aux yeux. T’es bien d’accord ?

— Ou veux-tu en venir ? demanda Frank.

— A ceci : Lisa ne changeait pas. Hein, Freddy ?

Freddy enveloppa Lisa d’un regard complaisant. Il avait toujours eprouve une certaine tendresse pour l’amie de Frank.

— Non, rencherit-il ; toujours aussi jeune !

— Qu’il est c… ! protesta Paulo. Je parlais du moral, eh, truffe !

« Elle restait pareille vis-a-vis de toi. On sentait que les annees ne changeaient rien a son sentiment, Frank. Rien ! Fallait que je te le dise… J’aurais du te le dire plus tot, mais ca ne me venait pas a l’idee.

Une corne percante se mit a glapir en bas, dans la rue. Freddy courut regarder et poussa un juron.

— Les pompiers avec une voiture-grue ! annonca-t-il. Vous voulez parier qu’ils ont decouvert le fourgon ?

— Ca les occupera. Ils en ont pour vingt bonnes minutes a le tirer de la flotte. Jusqu’a ce moment-la, ils ne savent pas si Frank n’est pas dedans !

Il regarda sa montre. C’etait une vieille montre de nickel, piquetee de taches grises et dont le cadran avait jauni. La premiere montre de Paulo. Il l’avait achetee de ses deniers a une epoque ou il travaillait.

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