— Eh bien ! Adolf, insista la jeune femme, ne voulez-vous donc pas revivre cela une derniere fois ?

— Si, Lisa. Si ! se decida Gessler.

Il se leva, fit claquer ses talons a l’allemande et dit en s’inclinant :

— Bonjour, Lisa, comment allez-vous ?

— Bien, je vous remercie.

Elle se tourna vers Frank et expliqua :

— Les formules de politesse francaises amusaient beaucoup Adolf.

Elle se remit a jouer, designa une chaise :

— Asseyez-vous !

— Merci, fit-il serieusement en s’asseyant.

— Vous ne voulez pas oter votre pardessus ?

— Je ne fais que passer, Lisa.

— Comme toujours. Je crois que ce sont ces… ces passages qui donnent un rythme a ma pauvre vie.

Frank se mit a califourchon sur une chaise. Il croisa les bras sur le dossier et mit son menton sur ses poings crispes. Un indefinissable sourire retroussa sa levre superieure.

— Continuez, fit-il, c’est fascinant.

Gessler reprit :

— Je suis heureux de l’apprendre, Lisa. Vous etes sortie ce matin ?

— Oui.

— Toujours la meme promenade ?

— Toujours, dit Lisa. Je regarde longuement chaque fenetre de la prison, du moins celle qu’on peut apercevoir de la rue. Il me semble que je vais le decouvrir derriere l’une d’elles. Mon manege finit par attirer l’attention. Hier un agent s’est approche de moi et m’a pose des questions que j’ai fait semblant de ne pas comprendre.

— A propos, coupa Gessler, avez-vous travaille votre vocabulaire ?

— J’ai essaye.

— Nous allons voir…

Il se recueillit et, les yeux fermes demanda :

— Le vent souffle fort ?

— Der Wind weht heftig, traduisit Lisa.

— Je m’excuse de vous deranger ?

— Entschuldigung dass ich Sie store. Freddy fit claquer ses doigts et grommela :

— Je ne pige pas a quoi ca rime !

— Ta gueule, fit Paulo, moi si !

— On continue ? demanda Lisa a Frank.

— S’il vous plait, implora-t-il.

— Das Schiff ? fit docilement Gessler.

— Le bateau, repondit Lisa.

— Die See.

— La mer.

— Auf Wiedersehen.

— Adieu.

L’avocat prit une profonde inspiration.

— Ich liebe Sie !

Lisa detourna la tete. Gessler repeta, plus doucement, avec une infinie tendresse :

— Ich liebe Sie !

Elle se taisait toujours, et ses levres crispees devenaient blanches.

— Ich liebe Sie ! Ich liebe Sie ! hurla Gessler.

Il se tut, parut contrit de s’etre laisse emporter par la passion et tamponna son front avec son mouchoir.

— Cette phrase-la, elle n’a jamais voulu la repeter, ni en allemand, ni en francais.

Lisa s’approcha de Frank.

— Ich liebe Sie, Frank ! articula-t-elle doucement.

— Et ca veut dire quoi ? demanda Paulo.

— Ca veut dire : je vous aime, traduisit Gessler.

Ils furent tous gagnes par une espece d’emotion indefinissable et baisserent la tete.

— Pet ! Pet ! les gars ! lanca brusquement Freddy entre ses dents.

L’ombre d’un policier se profilait derriere la porte vitree qui donnait sur le port.

— Plus un mot de francais ! enjoignit Gessler.

Il se tourna vers la porte a l’instant ou le policier y toquait.

— Entrez !

Le flic ouvrit la porte et fit un bref salut militaire. C’etait un homme plutot malingre, au teint gris et aux oreilles decollees.

— Qu’est-ce que c’est ? lui demanda sechement l’avocat.

Son autorite parut en imposer a l’arrivant.

— Il y a longtemps que vous etes la ? demanda-t-il en examinant les lieux.

Son attention fut accaparee un instant par les billards. Ces gros jouets durent lui paraitre rassurants car son front se deplissa.

— Depuis le debut de l’apres-midi, pourquoi ?

— Vous n’auriez pas apercu un fourgon noir ?

— Un fourgon comment ?

— Cellulaire.

— Quelle drole d’idee ! Non, pourquoi ?

— Et eux non plus ? insista le policier en montrant les autres.

— Nein, fit vivement Lisa.

Le policier mit ses mains dans son dos pour passer son petit monde en revue. Il se planta devant Freddy.

— Nein, dit Freddy.

Paulo, quant a lui, crut plus prudent de secouer negativement la tete. Il n’avait pas compris la question du policier mais il en devinait facilement le sens.

Frank s’etait mis a siffler « Fascination » d’un air agressif. Le flic s’approcha de lui. Les assistants comprirent qu’une louche tentation tenaillait l’evade. Ils fremirent ; Freddy surtout qui pensait a son revolver.

— Rien vu non plus ? demanda le policier.

Et comme Frank continuait a siffloter en le regardant, il hurla :

— He ! je vous parle !

Les autres suaient d’angoisse. Frank s’arreta de siffler et fit un signe negatif.

Baum entra. Il n’avait pas quitte la veste d’uniforme qui lui avait servi au moment du coup de main. Gessler le foudroya du regard et Baum, avec une presence d’esprit et une promptitude remarquables se jeta derriere une pile de caisses.

— Parfait, merci ! lanca le policier en s’eclipsant.

— La vache, grinca Freddy. Nous faire des frayeurs pareilles, c’est pas honnete !

— Tu crois qu’il t’a reconnu ? se tourmenta Lisa.

Frank secoua la tete.

— Je ne suis pas si celebre et on n’a pas eu le temps de publier ma photo. Il parlait du fourgon ?

— Oui, repondit Freddy. On a bien fait de ne pas le conserver dans l’entrepot, sinon on aurait ete marrons.

Gessler s’etait rendu a la verriere et examinait l’Elbe avec ses bateaux ancres au milieu des immenses grues.

— M… ! jeta-t-il soudain : une vedette de la police patrouille le long des quais.

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