cette besogne.

– Je ne m’en irai pas avant qu’il soit enterre.

– Si, il faut s’en aller.

– Non, non, colonel Sapt, quand il me faudrait perdre la Ruritanie tout entiere.

– Vous etes fou, me dit-il. Venez voir!»

Il m’entraina vers la porte. La lune commencait a decroitre, ce qui ne m’empecha pas d’apercevoir sur la route, a environ trois cents metres, une compagnie d’hommes. Ils pouvaient etre sept ou huit, dont quatre a cheval, le reste a pied; ils paraissaient charges; je devinai qu’ils portaient des pelles et des pioches.

«Ils vous eviteront la peine que vous vouliez prendre, dit Sapt. Allons, venez.»

Il avait raison. C’etait, sans nul doute, des hommes du duc Michel qui venaient faire disparaitre les traces de leur sinistre besogne. Il n’y avait plus a hesiter. Soudain, un irresistible desir s’empara de moi, et, montrant du doigt le corps du pauvre petit Joseph:

«Colonel! m’ecriai-je, si nous essayions de le venger?

– Je vous vois venir. Vous ne voudriez pas qu’il partit pour l’autre monde tout seul. C’est un jeu bien risque. Si Votre Majeste…

– Il faut que je leur dise un mot de ma facon.»

Sapt hesitait.

«Bah! dit-il enfin, ce n’est pas regulier; mais vous avez si bien fait votre devoir que vous meritez une petite recompense. Je vais vous dire ce qu’il faut faire pour ne pas les manquer.»

Il tira avec precaution le battant de la porte qui etait reste ouvert, puis traversa la maison pour ressortir par la porte de derriere. Nos chevaux etaient la, tout prets. Une allee de voitures fait le tour du pavillon.

«Votre revolver est charge? demanda Sapt.

– Non, j’aime mieux me servir de mon epee, repondis-je.

– Mon garcon, vous m’avez l’air altere, ce soir, grommela Sapt. Allons-y!»

Nous nous mimes en selle, et, l’epee nue, nous attendimes une ou deux minutes.

Bientot nous entendimes le craquement des fers des chevaux sur le gravier. La petite troupe s’arreta, et un des hommes cria:

«Maintenant, qu’on aille le chercher!

– Voila le moment!» me souffla Sapt.

Piquant des deux, nous eumes bientot fait le tour de la maison, et nous nous trouvames au milieu des miserables. Sapt m’a dit, depuis, qu’il avait descendu un homme, je le crois sur parole; pour l’instant, j’avais assez a m’occuper de mes propres affaires. D’un coup d’epee, je fendis la tete d’un soldat, monte sur un cheval bai; il tomba. Alors je me trouvai face a face avec une espece de geant, tandis que j’en avais un autre a ma droite.

La position devenait intenable: d’un mouvement simultane, je pressai les flancs de ma bete et enfoncai mon epee dans le corps du geant. La balle de son revolver siffla a mon oreille: j’aurais jure qu’elle m’avait effleure. Je voulus retirer mon epee; elle resista a mes efforts, et je dus l’abandonner pour galoper apres Sapt, que j’apercevais a une vingtaine de metres en avant.

De la main, je voulus faire un geste d’adieu, mais ma main retomba; je poussai un cri: une balle m’avait erafle le doigt; le sang coulait. Le vieux Sapt se retourna sur sa selle. Un nouveau coup de feu partit sans nous atteindre, nous etions hors de portee.

Sapt se mit a rire.

«Ca doit bien en faire deux pour vous et un pour moi. Allons, allons! le petit Joseph ne voyagera pas tout seul.

– Une partie carree», repliquai-je.

J’etais tres surexcite, et n’eprouvais aucun remords.

«Ceux qui restent vont avoir de la besogne. Je voudrais bien savoir si on vous a reconnu.

– Ce grand diable d’animal m’a parfaitement reconnu. Au moment ou je l’ai frappe, je l’ai entendu crier: «Le roi!»

– Bien, bien! Nous donnerons du fil a retordre au duc Noir avant d’en avoir fini.»

Nous nous arretames un moment pour panser mon doigt blesse, qui saignait abondamment et me faisait cruellement souffrir, l’os ayant ete tres contusionne. Apres quoi, nous nous remimes en marche, demandant a nos braves chevaux toute la celerite dont ils etaient capables. Maintenant que l’excitation de la lutte etait tombee, nous restions sombres et silencieux. Le jour se leva, clair et glace. Nous trouvames un fermier qui sortait du lit et a qui nous demandames de nous restaurer, nous et nos chevaux. Quant a moi, feignant un mal de dents, je dissimulai mon visage soigneusement. Nous reprimes notre chemin, jusqu’a ce que Strelsau fut en vue. Il etait huit heures, peut-etre neuf, et les grilles de la ville etaient grandes ouvertes comme elles l’etaient toujours, a moins qu’un caprice du duc ou une intrigue ne les fit fermer. Nous rentrames, harasses de fatigue.

Les rues etaient plus calmes encore que lorsque nous les avions traversees a notre depart. Aussi arrivames- nous a la petite porte du palais sans avoir rencontre une ame. Nous trouvames le vieux serviteur de Sapt qui nous attendait.

Une fois entres, nous nous rendimes dans le cabinet de toilette. Nous y trouvames Fritz qui, tout habille, dormait sur un sofa. Notre arrivee le tira de son sommeil, et, avec un cri joyeux, il se jeta a genoux devant moi.

«Dieu soit loue, Sire! Dieu soit loue! vous etes sain et sauf», criait-il, prenant ma main pour la baiser.

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